C’est là une interprétation curieuse. Si les Vêpres de la Vierge sont une œuvre délibérément composite – sorte de rhapsodie à usages divers – , cet enregistrement ne l’est pas moins. Point tant d’un point de vue philologique que d’un point de vue esthétique.
Philologiquement, Leonardo Garcia Alarcon est bien entendu irréprochable. Il ne se permet par exemple aucune des bizarres fantaisies de McCreesh. Il reste fidèle à l’épure adoptée par ses grands prédécesseurs (Gardiner, Harnoncourt, Alessandrini). La seule innovation porte sur les antiennes. Lionel Desmeules – claveciniste, chanteur, chef de chant, chef de chœur – a choisi de composer à partir des antiennes de la fête de la Vierge des mélodies originales, assumées par lui comme « anachroniques ». Il s’est appuyé sur les recherches allant puiser dans la tradition corse, sarde, byzantine, etc. les repères de sa composition – dans la lignée d’un Marcel Pérès ou, plus récemment, de Damien Poisblaud au Thoronet. Le résultat est exaltant.
Esthétiquement, c’est autre chose. Alarcon balance entre deux directions. La première est de revivifier cette œuvre comme il l’a fait dans le répertoire baroque du XVIIIe siècle. Couleurs vives, tempi rapides, vocalités d’opéra viennent seconder son projet. Le Psaume 112, où les vocalises cascadent, est très représentatif de cette orientation, tout comme un « Duo Seraphim » arraché à ses étirements usuels. Cependant, ce qui dans un répertoire de théâtre plus tardif devient, sous la baguette d’Alarcon, fleurissement et couleur peine ici à s’imposer. La musique résiste. Elle ne se prête pas à une vivification qui sonne anguleuse voire brutale. Plus étonnant encore, les passages de transport spirituel, en particulier le « Lauda Jerusalem », où devrait éblouir les feux d’artifices auxquels Alarcon s’entend si bien restent ternes. Comme on est loin, dans la joie fusante de ces pages, des extases de Gardiner ou de Savall, ou même de l’espèce d’ébaudissement simple de Harnoncourt.
La deuxième direction est naturellement de conférer à l’œuvre sa part de recueillement. Alarcon veut qu’il soit plein et nourri, au rebours des langueurs déjà entendues ici. En vérité, il ne parvient qu’à être grisâtre. Le Magnificat sombre dans un bain d’ennui pour des raisons qu’on a du mal à identifier. Certains passages sont carrément pénibles, comme un « Audi Coelum » bien pesant. Et ce n’est pas faute de l’avoir écouté et réécouté. Où est passé la lumière de Gardiner ? Où est la finesse de trait d’Alessandrini ? Où est la clarté contemplative de Savall ? Nous sommes privés d’air et de respiration. Certes, la manière reste artiste, mais il nous manque ce qui fait de ces Vêpres un chef-d’œuvre incomparable : un envol, une hauteur une altitude. Tout cela nous semble manquer de simplicité, chercher à démontrer quelque chose qui, dans cette œuvre, n’est pas de saison.
Et l’on en vient finalement à se poser une question irrévérencieuse et peut-être blessante pour des interprètes manifestement très engagés, question qu’attisent les réalisations si belles de Lionel Desmeules et finalement si hétérogènes au reste de cette lecture : et si ce qui nous manque ici n’était pas tout simplement l’inspiration – ou mieux : l’Esprit ?