En 2007, quatre artistes qui commençaient sérieusement à se frayer un chemin dans l’univers de l’art lyrique s’étaient réunis pour enregistrer une bien belle version des Liebeslieder Walzer de Brahms. Le succès de cette première incursion leur avait bientôt donné envie de réitérer l’expérience, mais la mezzo Stella Doufexis ayant succombé à une mort prématurée, c’est désormais avec Anke Vondung que Marlis Petersen, Werner Güra et Konrad Jarnot s’étaient réunis pour un disque Schumann en 2011, encore suivi d’un récital Schubert en 2013. Partageant leur carrière entre l’opéra et le lied, ces quatre solistes avaient à chaque fois trouvé le temps d’élaborer un programme ensemble, de le rôder et de l’enregistrer, pour mieux repartir ensuite chacun de son côté. Et l’on pouvait regretter que leurs parcours respectifs ne semblent plus devoir les rassembler pour une exploration plus approfondie d’un répertoire somme toute assez peu fréquenté, celui du quatuor vocal.
Peut-être ces regrets vont-ils prendre fin grâce à l’apparition du Quatuor Vocal Damask. Il ne s’agit pas ici de quatre noms momentanément regroupés autour d’un projet particulier, mais bien de quatre jeunes chanteurs ayant décidé d’unir leurs forces pour se produire régulièrement ensemble (on remarque d’ailleurs que jamais les quatre artistes mentionnés plus haut n’ont choisi de se donner un nom en tant que quatuor). Qui sont ces quatre jeunes gens qui, jusqu’ici, ont surtout chanté aux Pays-Bas ? La soprano américano-néerlandaise Katharine Dain n’est déjà plus tout à fait une inconnue du public français, qui a pu entendre sa Konstanze dans une production de L’Enlèvement au sérail donné à Clermont-Ferrand, Avignon, Rouen, Massy et bientôt Reims. Ses trois partenaires, en revanche, ne semblent pas avoir la même exposition médiatique Si la mezzo Marine Fribourg est française, les deux messieurs sont, eux, nettement anglophones, le ténor Guy Cutting étant britannique et le baryton Drew Santini, canadien. Leurs voix se marient bien, ce qui est évidemment la moindre des choses. On remarque que la soprano n’a pas peur d’émettre ses notes avec un vibrato serré, « à l’ancienne », pourrait-on dire, tant cette façon de chanter semble être devenue quasi répréhensible. L’autre voix féminine se distingue bien par ses couleurs plus sombres, le timbre du ténor possède la séduction souhaitable, et le baryton n’a aucun mal à s’élever dans l’aigu, comme on peut s’en rendre compte lorsque chacune des voix s’élance seule au gré des occasions ménagées par les différentes pièces.
Flore Merlin vient leur apporter l’indispensable soutien, puisqu’il ne s’agit en aucun cas de répertoire a cappella, mais bien de morceaux conçus pour quatre voix et piano, à l’instar des fameux Liebeslieder Walzer. Brahms est au cœur du programme, au commencement, au milieu et à la fin du programme, mais l’on n’entend ici que des œuvres trop rarement interprétées. Les Trois quatuors op. 31 reprennent le rythme à trois temps, qui devient le thème du premier morceau, évocation du bal selon Goethe qui oppose les indifférents (mezzo et baryton) qui dansent sans sourire aux « amoureux » (soprano et ténor) portés par leurs sentiments. Les Six quatuors, op. 112a sont du meilleur Brahms, avec des accords caractéristiques où l’on reconnaît aussitôt la patte du maître. Au patriarche se joignent un ami du compositeur, Heinrich von Herzogenberg, qui s’inspire de la poésie d’Eichendorff pour ses Quatre nocturnes. Et la révélation vient de l’unique élève de Brahms, Gustav Jenner, dont on aimerait beaucoup entendre l’intégralité des Douze quatuors, les quatre extraits présentés éveillant curiosité et étonnement par leur puissance dramatique. On entend également la pianiste seule dans les quatre beaux Nocturnes de Theodor Kirchner, ici en premier enregistrement mondial, et répartis à travers le disque pour introduire quelques respirations purement instrumentales ; l’inévitable référence à Chopin y fusionne avec une voix bien personnelle.