Est-ce à cause de son nom à consonance germanique, hérité de ses ancêtres alsaciens, que Charles Koechlin (1867-1950) jouit outre-Rhin du prestige que ses compatriotes peinent encore à lui accorder ? Dans un monde bien fait, les orchestres français auraient à chœur d’interpréter la musique d’un des compositeurs parmi les plus novateurs d’une époque qui en compta beaucoup. Mais voilà, c’est le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart qui a décidé de graver une « édition Koechlin », sept CD enregistrés entre 2000 et 2010 que le label SWR Music réunit en un coffret constituant un magnifique hommage au compositeur du Livre de la Jungle ou de la Seven Stars’ Symphony. Evidemment, ce n’est là qu’une sélection parmi les très nombreuses « œuvres orchestrales » laissées par Charles Koechlin, mais c’est suffisant pour permettre d’apprécier la subtilité de son art, loin de toute facilité, de toute concession. Plus encore qu’à l’orchestre du Südwestrundfunk, c’est au hautboïste et chef Heinz Holliger qu’il faut attribuer ce judicieux désir, puisque c’est lui qui a dirigé chacun des disques, ainsi qu’au musicologue Ottfried Nies, qui a établi en 1984 des « Archives Koechlin » à Cassel, dans le land de Hesse.
En 2012, nous avons signalé la parution de l’un des volumes de cette Edition Charles Koechlin, le sixième, en regrettant que le chant n’y soit que peu représenté. Les deux premiers disques font néanmoins la part belle à la voix, avec tout un bouquet d’œuvres pour voix et orchestre, essentiellement des mélodies d’abord composées avec accompagnement de piano et ensuite orchestrées. C’est d’ailleurs pour la voix que Koechlin conçut ses premières œuvres, et comme le coffret respecte l’ordre chronologique, c’est tout logiquement que les CD 1 et 2 s’ouvrent au chant. Il s’agissait non seulement de premiers enregistrements mondiaux, mais même, dans la plupart des cas, de première interprétation mondiale, beaucoup de ces œuvres étant restées à l’état de manuscrit autographe sans être jamais jouées en public. Les 80 mélodies composées par Koechlin entre 1890 et 1910 sont principalement inspirées par les poètes parnassiens et symbolistes (Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme, Hérédia, Albert Samain…), avec une incursion un siècle auparavant, chez André Chénier.
Toutes ces mélodies sont chantées d’une voix pure, avec sensibilité et dans un français très intelligible par la soprano allemande Juliane Banse. Le CD 2 fait aussi intervenir l’ensemble vocal du SWR pour le très déconcertant Chant funèbre à la mémoire des jeunes femmes défuntes (c’est le moment de rappeler que les labels français n’oublient pas entièrement Koechlin, puisqu’en 2016, Timpani a fait paraître un superbe disque consacré à la musique vocale et chorale du compositeur, mais avec accompagnement de piano).