2019, c’est fini, on a rangé les décorations de l’anniversaire Offenbach, et l’on va célébrer bien plus sérieusement l’année Beethoven. Oui, mais il y a encore du travail pour qui voudrait explorer les recoins encore obscurs du compositeur des Contes d’Hoffmann. Le disque paru chez Alpha cet automne en offre un bon exemple, même s’il s’abandonne par la même occasion à un travail plus dispensable.
Ce que tout Offenbachien saluera, c’est l’enregistrement d’ouvertures bien méconnues, interprétées par un orchestre de qualité, dirigé par un chef qui aime et respecte ce répertoire. Si Madame Favart vient de connaître les honneurs de l’Opéra Comique, Les Bavards attendent toujours leur résurrection scénique, et si le reste de la partition est du même tonneau que l’ouverture, on aimerait beaucoup la voir revivre. Barkouf été superbement recréé par l’Opéra du Rhin, mais sa révision post-guerre de 1870, Boule de neige, n’est guère connue qu’à travers quelques airs inclus par Jodie Devos dans son disque Offenbach Colorature : heureuse addition à notre culture. Pour des raisons mystérieuses, l’ouverture des Deux Aveugles, au point que certains en contestent même l’existence : on est ravi de l’entendre ici, avec l’irrésistible rengaine du boléro « La lune brille, le ciel scintille » qui risque de vous trotter longtemps dans la tête. L’ouverture de Monsieur Choufleuri est plus familière, grâce à la version jadis gravée par Manuel Rosenthal, mais il l’avait curieusement réduit à une quarantaine de secondes, soit moins d’un tiers de sa durée réelle.
Autre excellente idée : un air des Bavards et un air de Boule de neige, inconnus du grand public. Au cas où on l’aurait oublié, « C’est l’Espagne » rappelle qu’Offenbach n’attendit pas La Périchole pour donner dans l’espagnolade entraînante ; on comprend que la Valse du divorce ait remporté en son temps un vif succès, car entre ses paroles acerbes et ses courbes caressantes, elle est digne du meilleur Offenbach.
Dans un passé encore proche, Karine Deshayes a bien servi Offenbach, en Périchole (Toulouse 2008) ou en Belle Hélène (Toulon 2014, Tours 2015), sans oublier, dans un registre un peu différent, Nicklausse (New York 2015). Sa présence indique que cette musique mérite de vraies chanteurs, et pas seulement des acteurs ayant un brin de voix.
Ce disque se targue aussi d’un premier enregistrement mondial, et c’est pourtant sur ce point qu’on émettra quelques réserves. Le chef et compositeur belge Jean-Pierre Haeck a orchestré les six Fables de La Fontaine qu’Offenbach avait conçues pour voix et piano en 1842. Le travail est bien fait, il paraît plus discret que les instrumentations très datées du susdit Manuel Rosenthal pour Gaîté parisienne, par exemple. Les timbres sont utilisés à bon escient, pour créer des effets de comique sonore que n’aurait sans doute pas reniés le maître lui-même. Cette adaptation s’imposait-elle ? Sans doute pas, mais le problème n’est pas là. L’inconvénient de l’orchestration est qu’elle oblige la voix à passer par-dessus les instruments, et donc, en l’occurrence, à privilégier le son par rapport à la diction. Dans les pages qui sont du « pur Offenbach », Karine Deshayes n’a pas de problème à se faire comprendre. Mais tentez l’expérience avec celles des six fables que vous n’avez jamais apprises dans votre enfance, et certaines choses risquent de vous échapper. « Le Berger et la mer » est un texte beaucoup moins connu que les cinq autres : même avec une oreille habituée à saisir les consonnes au vol, il paraît un peu difficile de saisir le sens de cette fable-là, alors que sa version originale avec piano doit être plus intelligible.
Alors qu’il reste tant à faire pour découvrir les œuvres moins connues d’Offenbach, ce genre de démarche ne paraît pas vraiment prioritaire.