Il existe à Jesi, dans les Marches, une fondation Pergolesi-Spontini, créée en 2000 pour défendre au mieux la musique des deux enfants de cette région. Jusqu’ici, ses travaux ont surtout porté sur la musique légère du second, avec notamment La fuga in maschera, « comédie en musique » proposée en 2012, ou Le metamorfosi di Pasquale, « farce joyeuse » montée en 2018. Ce n’est peut-être pas de sitôt que l’on y verra ces grandes tragédies qui valurent la gloire à Spontini, même si la Fondation soutient la très alléchante production de Fernand Cortez prévue à Florence en octobre prochain. Heureusement, Spontini ayant été l’un des compositeurs préférés de Napoléon, il se rattache aussi à la musique française, et c’est ainsi que se justifie l’intervention du toujours providentiel Palazzetto Bru Zane. A défaut d’une renaissance scénique qui n’aurait rien d’aberrant, Olympie a connu en 2016 sa recréation en concert, dont le reflet discographique nous parvient enfin.
A l’écoute, on comprend sans peine le succès qu’a connu cette œuvre, au fil de ses transformations successives (créée en français à Paris, traduite et adaptée par E.T.A. Hoffmann pour Berlin, puis remise en français en 1826). L’intrigue est centrée sur quatre personnages principaux, le plus frappant – et qui aurait pu, en bonne logique, donner son titre à l’opéra – étant Statira, veuve d’Alexandre le Grand, celle-là même qui avait déjà inspiré à Busenello un superbe livret mis en musique par Cavalli. Devenue prêtresse sous le nom d’Arzane, elle reconnaît dans la captive Aménaïs sa fille Olympie, qui n’a que peu d’arguments à faire valoir en dehors de son statut touchant de victime. Face à elles, Cassandre et Antigone (ne pas se fier à leur nom, ce sont deux hommes), rivaux en politique mais aussi en amour car tous deux épris d’Olympie. Dans la première version, même si l’on découvrait in extremis qu’Alexandre avait été assassiné non par Cassandre mais par Antigone, les deux femmes se suicidaient ; pour son remaniement, Hoffmann imposa une fin heureuse : le gentil Cassandre et la douce Olympie s’épousent, le méchant Antigone meurt, et Statira aura une vieillesse apaisée. Scéniquement, l’œuvre permettait aussi ce déploiement de faste qui allait être une caractéristique du grand opéra à la française : processions, cérémonies, etc. avec force ballets et chœurs. Musicalement, Spontini fait le lien entre la noblesse gluckiste des ultimes éclats de la tragédie lyrique et le romantisme de Rossini ou Meyerbeer. Dans l’attachement qu’elle proclame envers sa fille retrouvée, Statira (mezzo) a un faux air de Fidès avant l’heure, et l’entrelacement du drame privé avec les affaires publiques préfigurent les piliers de l’Académie royale de musique dans les années 1830.
Ce que souligne d’abord le présent enregistrement, c’est la qualité de l’écriture orchestrale de Spontini. Après avoir abordé Cherubini, avec Lodoïska en 2010, puis dirigé La Vestale en 2013, Jérémie Rhorer était un choix tout désigné pour se charger d’Olimpie – oui, l’orthographe varie, et l’on voit très souvent à l’époque la graphie sans y – sans oublier toute son exploration du répertoire lyrique du XVIIIe siècle finissant et du XIXe naissant. En écoutant l’ouverture interprétée par le Cercle de l’Harmonie, on comprend tout de suite l’admiration que Berlioz éprouvait pour cette musique. Pour sa énième collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, le Chœur de la radio flamande apporte une superbe pierre à l’édifice spontinien.
La prise de son permet aussi de corriger certains problèmes perçus au Théâtre des Champs-Elysées. Du coup, les réserves tombent, et cette intégrale (dont ont néanmoins été omis quelques passages, de ballet notamment) vient magnifiquement combler une lacune de la discographie. Mathias Vidal n’a sans doute pas tout à fait la voix de Cassandre, dans le grave en particulier, mais on salue l’ardeur dont il est coutumier. Josef Wagner livre une prestation sans reproche dans le rôle du traître Antigone, et l’on remarque la majesté que Patrick Bolleire confère au Hiérophante et au Prêtre. Par l’opulence de son timbre et par l’émotion de son chant, Karina Gauvin réussit à faire d’Olympie mieux qu’une pâle héroïne passive. Mais c’est surtout Kate Aldrich qui impressionne, par sa capacité à investir Statira de sa grandeur tragique : on ne sera pas surpris d’apprendre qu’elle fut une très belle Fidès à Toulouse en 2017. Et si la mezzo américaine renonçait aux Carmen qui font son ordinaire pour se consacrer à la défense d’œuvres françaises plus rares ?