Oui, Oberto, le tout premier opéra composé par Verdi, est un sombre mélodrame historique avec amante délaissée et père justicier, fiancée candide et vil séducteur. Dès lors, il ne serait que trop facile de baisser les bras, en considérant qu’avec une trame aussi usée, il est vain de vouloir offrir un vrai moment de théâtre. Sauf que Messieurs Tcherniakov et Py ont récemment montré qu’il était parfaitement possible de tirer du Trouvère des propositions autrement plus fortes que tout ce qu’on nous avait servi jusqu’ici. Avec Pier’Alli, on se trouve exactement dans la situation caricaturale que dénonçait déjà le magazine Théâtre en Europe en 1987 : « En Italie, si l’on donne le Trouvère, nous ne sommes pas sûrs de comprendre qui sont les personnages et ce qu’ils font. Nous sommes sûrs, en revanche, que la couleur du ciel sera parfaitement accordée à la robe de Léonora ». Les décors réussissent l’exploit de donner une certaine ampleur à la scène minuscule du théâtre de Busseto, les costumes aux teintes sombres évoquent les années 1840, les postures et les mouvements sont coordonnés avec une grande élégance, mais fallait-il vraiment adopter toutes les attitudes grandiloquentes d’un certain théâtre romantique ? Mains dressées, doigts écartés, sur le cœur ou sur le front, index accusateur pointé, bras levé vers le ciel, tout y passe, et chacun de se figer dans les poses les plus statiques. Pier’Alli expliquera sans doute qu’il est partisan d’une stylisation du geste, et qu’il assume la convention jusqu’au bout, mais cela ressemble fort à une démission, et ce n’est pas là ce qui fera adhérer le spectateur au drame que le toute jeune Verdi tente de raconter. Tout cela est bien joli, certes, mais ne retient guère l’attention et, surtout, ne constitue pas vraiment une version de référence qu’on pourrait opposer à l’unique Oberto jusqu’ici disponible en DVD (Opus Arte, 2007).
Encore, si la distribution était de force à emporter l’adhésion ! Ce n’est hélas pas vraiment le cas, à commencer par le rôle-titre, où les plus grandes basses se sont essayées (Samuel Ramey dans l’intégrale dirigée par Neville Marriner). On peut imaginer dans ce personnage un baryton doté d’une certaine étoffe dramatique, mais ce n’est pas vraiment le cas de Giovanni Battista Parodi, qui paraît trop jeune, physiquement et vocalement, pour incarner de façon convaincante celui qui devrait être la clef-de-voûte de l’édifice. Le chant brutal du ténor ne procure guère de satisfaction, et Fabio Sartori se révèle dénué de séduction sur tous les plans. Mariana Pentcheva a des graves sonores, des couleurs intéressantes qui la rapproche du contralto, mais elle est incapable d’émettre proprement les vocalises dont la partition la gratifient, et elle devrait s’efforcer d’un peu moins rouler de gros yeux. Finalement, seule Francesca Sassu, sans être inoubliable, se montre vraiment à la hauteur des exigences d’un rôle difficile dont elle maîtrise l’ensemble de la tessiture, même si une voix parfois plus charnue ou moins couverte aurait été bienvenue. Antonello Allemandi fait le maximum pour souligner les moments plus raffinés dans cette œuvre d’un débutant, sans doute plus énergique que raffinée.