On a tous en nous quelque chose du Palais Garnier. Le remous autour des cloisons démantelées par l’actuelle direction de l’Opéra national de Paris il y a deux ans est la preuve qu’il existe entre ce monument et le public une relation amoureuse. Qui, un soir de spectacle, n’a gravi le grand escalier sans ressentir, tel Marguerite dans Faust, l’impression d’être « fille de roi qu’on salue au passage » ? Qui, une fois assis dans un des fauteuils de l’orchestre ou – moins confortablement – sur un des strapontins de l’Amphithéâtre, n’a été aveuglé par la magnificence rouge et dorée de la salle ? Qui, à l’entracte, n’a arpenté les 54 mètres du Grand-Foyer sans, admiratif, lever les yeux au plafond pour tenter de deviner le sujet d’une des fresques de Paul Baudry ? Qui, égaré dans les étages à la recherche des toilettes, n’a songé sans frissonner au fameux fantôme de la loge 5 ? La légende a été inventée par Gaston Leroux à partir de faits survenus lors de l’incendie de la Salle Pelletier. Mais s’agit-il d’une légende…
Amené à restaurer quelques-unes des innombrables mosaïques voulues par Charles Garnier – sous influence méditerranéenne – pour décorer l’intérieur du bâtiment, Jérôme Clôchard, dit Jérô, est à son tour tombé sous le charme. Sa déclaration d’amour, ce mosaïste du Sud-Ouest de la France l’a formulée à l’aide de sa plume et de son pinceau à travers un ouvrage conçu comme un carnet de voyage lexical. Soixante-douze pages durant, son cahier d’aquarelles accompagnées de brefs commentaires se parcourt mot à mot, image après image, comme une invitation à déambuler à travers le Palais Garnier. « Le grand escalier », « La grande salle », « le lustre », « les ateliers de création »…
L’amateur d’opéra pourra trouver trop importante la place occupée par le ballet au détriment de l’art lyrique. Si la visite réserve une entrée à Degas, Noureev, Bakst, elle expédie chœurs et chanteurs dans la rubrique « Les musiciens » en une courte phrase tautologique (« l’art lyrique a besoin de voix »). Sans doute parce que les figures de danse se prêtent mieux que le chant aux joliesses de la peinture à eau.
On aime surtout lorsque le regard amoureux de Jérô s’attarde sur ce qui constitue son domaine d’expertise : les mosaïques qui, des sols aux plafonds, accompagnent la déambulation émerveillée du visiteur. Elles sont pour l’essentiel l’œuvre de Gian Domenico Facchina (1826-1903), « un des plus grands maîtres mosaïstes de l’histoire ». A Paris, Le Printemps, Le Bon Marché ou encore la galerie Vivienne témoignent de son art en leurs murs ou sur leurs façades. Au 20e siècle, le style Art Déco utilisera largement cette technique décorative importée en France par Garnier ainsi que lui-même l’inscrivit dans un coin du plafond de l’Avant-Foyer, en grec byzantin du XIIIe siècle. Qui le remarquerait aujourd’hui s’il n’y avait des livres amoureux pour nous le signaler ?