Raphaël Pichon avait fait sensation avec son enregistrement des quatre Messes brèves de Bach (brèves puisque ne comportant que le Kyrie et le Gloria), c’est donc logiquement qu’il aborde aujourd’hui la « cinquième » messe brève qui, lorsque Bach l’amplifiera par l’ajout d’un Credo, d’un Sanctus et d’un Agnus, deviendra la Messe en Si. Cet enregistrement constitue ainsi la rare opportunité de réaliser ce qu’était la Messe en Si au départ et de constater que cette version « brève » est un tout parfaitement convaincant en soi.
Dans un passionnant texte d’accompagnement, richement documenté, Raphaël Pichon explique par le détail la genèse et la portée de cette Messe brève que Bach conçut pour le Prince-électeur de Saxe afin d’obtenir un titre honorifique voire un poste à la Cour (poste qu’il obtiendra effectivement, mais trois années plus tard). Le Cantor mit tout son savoir-faire dans cette Messe brève qui atteint ainsi une durée inédite (le double de la durée habituelle, soit une cinquantaine de minutes) et affiche une splendeur d’écriture renversante, bien au-delà de ce que Bach avait écrit dans ce domaine jusqu’ici. Mais, en fin stratège qu’il était (un aspect peu connu du compositeur), Bach écrivit également cette Messe dans un style qui ne pouvait que plaire à la Cour de Dresde éprise d’opéra italien et qui possédait l’un des meilleurs orchestres d’Europe.
C’est donc dans un geste rempli d’éloquence et d’opulence, tant vocale qu’instrumentale (les premières mesures sont proprement sublimes) que Raphaël Pichon a choisi d’interpréter cette Missa qui se présente avec des atours presque profanes : on penche parfois plus vers l’opéra que vers l’église (continuo conséquent – avec clavecin et théorbe, cor de chasse – et non naturel, chant extraverti ou sensuel, voix lyriques, chœur fourni, battue dynamique et rythmique…). C’est un pari osé mais qui s’avère une incontestable réussite tant tout cela est conduit de main de maître par Raphaël Pichon et magnifiquement exécuté, à commencer par un chœur superbe. On ne sait qu’admirer le plus entre la beauté des voix, l’homogénéité, la prononciation, la netteté de l’articulation et la ferveur de l’ensemble. On est loin de la plastique froide de certains autres célèbres ensembles, et puis quel bonheur d’entendre Bach avec un chœur à cinq par partie à une époque où domine le un par voix ! L’orchestre n’est pas en reste, avec notamment de superbes traversos ou un excellent corniste qui joue sans la main dans le pavillon (et donc uniquement avec correction labiale). Les solistes sont également brillants et ardents, notamment Carlos Mena et Emiliano Gonzales-Toro, remarquables.
Tout cela est vibrant, enthousiasmant et constitue le prototype de l’enregistrement intelligent qui apporte un supplément de connaissances sur la figure de Bach. Il sera intéressant de voir comment Raphaël Pichon, décidément un interprète passionnant, revisitera ce Kyrie et ce Gloria lorsqu’il abordera la totalité de la Messe en Si d’ici un ou deux ans.