Sa bonne humeur lui vaut d’être régulièrement invité au ROF (Rossini Opera Festival pour les non-initiés). On pourrait même écrire que, tel Astérix et la potion magique, Paolo Bordogna est tombé dans Rossini quand il était petit s’il n’avait attendu l’âge de 28 ans pour faire parler de lui. En 2000, le chanteur, d’origine milanaise, reçoit le prix Caruso et se destine alors à des rôles de baryton brillant, ainsi qu’il le racontait il y a quelques mois à Maurice Salles.
On ne peut aller à l’encontre de son tempérament. Sur les conseils d’Ernesto Palacio, ex-ténor rossinien et nouveau directeur artistique du ROF, l’opéra buffa s’impose à Paolo Bordogna, orientation confirmée par l’aisance avec laquelle il se glisse dans la peau de ses rôles, comme on peut le voir sur la pochette de ce Tutto Buffo où il affiche la même bouille réjouie sous différents déguisements. « Il éblouit le public par sa volubilité dans les passages d’agilité et sa fantaisie scénique, où grimaces et gestuelle acrobatique tirent Dulcamara vers le zanni qu’il n’a jamais cessé d’être » écrivait Maurice Salles à son propos lors des représentations marseillaises de L’elisir d’amore concomitantes à son interview, en fin d’année dernière. Témoignage parmi d’autres, s’accordant à souligner des dons de comédien, remarquables et remarquées par Decca qui lui offre, dirigé par Francesco Lanzillotta, un récital discographique sur mesure, le premier pour baryton-bouffe sous ce label depuis cinquante ans.
Clown et caméléon, Paolo Bordogna peut tout interpréter dans un répertoire comique qui va du baroque au contemporain, avec une prédisposition particulière pour Rossini et Donizetti : Belcore et Dulcamara dans L’elisir d’amore, Don Pasquale et Malatesta dans Don Pasquale, Guglielmo et Don Alfonso dans Così fan tutte, Figaro and Don Bartolo dans Il barbiere di Siviglia, Don Alvaro et Don Profondo dans Il viaggio a Reims, Tobia, Mill et Slook dans La cambiale di matrimonio… Tout chanter également ? La chose est moins évidente. Les mimiques, désopilantes sur scène, ne peuvent au disque épauler la voix. Bartolo, Geronio, Don Pasquale et autres barbons ridicules restent impayables avec leurs rondeurs appuyées, leurs éclats grotesques et leur faconde syllabique – cette manière de chanter, imitée de la langue italienne parlée, où chaque syllabe clairement articulée est débitée à toute vitesse. Leurs prédécesseurs – Leporello, Geronimo (Il matrimonio segreto) – tout comme leurs héritiers – Falstaff, Gianni Schicchi ou, moins connus mais aussi cocasses, Tartaglia (Le maschere) et Beaupertuis (Il cappello di paglia di Firenze) – marquent la limite de l’exercice. Les liens de parenté, évidents, n’empêchent pas la couleur, l’ampleur ou la largeur – selon les cas – de devoir prendre le pas sur la vélocité, ce qui ici n’est pas le cas. Tout au moins, ces limites sont la preuve d’un véritable tempérament comique qui ne saurait se satisfaire du seul son pour donner la pleine mesure de son talent. Louis de Funès, dans un autre registre, ne nous contredirait pas.