En 1913, alors qu’il n’avait pas 18 ans, Carl Orff composa son premier opéra, nourri par sa fascination pour la culture japonaise. A partir d’un drame écrit en 1746 pour le bunraku (théâtre de marionnettes) et bientôt adopté par le kabuki, le japonologue allemand Karl Florenz avait publié sa propre traduction sous le titre Terakoya – Die Dorfschule, repris par Orff avant que son choix se porte finalement sur Gisei – Das Opfer, non plus « L’Ecole de village » mais « Le Sacrifice ». C’est sous l’influence de Maeterlinck que le jeune compositeur arrangea le texte. Quant à la musique, il s’y montre réceptif à toutes les innovations découvertes chez Debussy (avec de très nets échos de Pelléas), Puccini (comme dans Madame Butterfly, il adapte la célèbre mélodie japonaise Sakura), Richard Strauss ou Mahler. Il s’agit donc ici d’une œuvre d’extrême jeunesse, sans grand rapport avec la production ultérieure de Carl Orff, et jamais représentée jusqu’à sa création posthume et tardive il y a deux ans.
Pour monter cette curiosité, l’opéra de Darmstadt a logiquement fait appel à un quasi-spécialiste du compositeur, le metteur en scène John Dew, qui avait déjà assumé deux autres productions orfiennes au cours de la saison 2006-2007, Antigonae et Oedipus der Tyrann, tous deux disponibles en DVD Wergo. Le résultat est un spectacle d’une immense beauté, totalement inspiré de l’esthétique des diverses formes de théâtre japonais : nô pour le prologue nocturne, lent et hiératique, kabuki pour l’opéra proprement dit, plus réaliste, plus animé mais parcouru de moments extrêmement stylisés, comme la danse coordonnée des époux Genzo et Tonami. Les costumes sont splendides, le décor simple mais beau, avec son grand paravent doré à la feuille. La sobriété de la mise en scène, sans basculer dans l’abstraction glacée d’un Bob Wilson, apporte un heureux contrepoint aux paroxysmes de cette musique post-romantique.
La distribution se compose exclusivement d’artistes en troupe à Darmstadt. Parmi les voix féminines, celle que l’on entend le moins est aussi celle qui apporte sa caution « ethnique » à la production : Aki Hashimoto n’a que fort peu à chanter, malgré son double rôle. Soprano lyrique dont le répertoire va de Pamina à Mimi en passant par Sieglinde, Susanne Serfling est très présente en directrice de « l’école » qui donnait à la pièce son titre initial. Sa consœur Anja Vincken a la voix plus lourde, plus dramatique (elle aborde parfois des rôles de mezzo comme Fenena dans Nabucco), ce qui convient fort bien au rôle tragique de Chiyo. Chez les hommes, on retient le beau timbre de baryton d’Oleksandr Prytolyuk. En Matsuo, le baryton-basse Andreas Daum est obligé de se réfugier dans le falsetto pour quelques notes, signe peut-être de la maladresse d’écriture du jeune Carl Orff. Sven Ehrke, ténor de caractère, n’a que quelques répliques.
On regrette surtout que Wergo n’ait pas cru bon d’ajouter un sous-titrage autre qu’en langue allemande (le bonus, quant à lui, ne bénéficie d’aucun sous-titre), ce qui limitera sérieusement la diffusion de ce DVD, sans doute déjà confidentielle, hélas.