La discographie on ne peut plus abondante consacrée à Krystof Penderecki montre qu’à 84 ans, le compositeur a encore de beaux jours devant lui. En effet, nombreux sont les chefs polonais et internationaux défendant sa musique : du révérend Antoni Wit au jeune lion Krzysztof Urbanski, en passant par de grands noms tels que celui d’un Gergiev ou d’un Dutoit. Cette quantité d’interprètes ne masque pas pour autant les activités de Penderecki en tant que chef de sa propre musique, et c’est par un triple album que Warner souhaite en célébrer l’œuvre pour chœur.
On connait brièvement le parcours esthétique du compositeur : à la pointe de l’avant-garde polonaise des années 1960, aux côtés de Tadeusz Baird et de Witold Lutoslawski, celui-ci s’est peu à peu assagi avec le temps, pour finir en chef de file de ceux que l’on qualifie souvent mesquinement de « néo-tonaux ». L’avantage de ces trois CDs, est qu’il permet de découvrir les différentes facettes de ce compositeur à l’œuvre bien plus vaste que l’on ne le croirait. Dans cette discographie-portrait, Penderecki bénéficie de tous les honneurs nationaux qui lui sont dûs. En effet, la qualité du Chœur de la Philharmonie de Varsovie n’est plus à démontrer. Capable de contrastes dramatiques impressionnants, du fortissimo le plus brillant au piano éthéré semblant venir d’ailleurs, la phalange polonaise peut se vanter d’une intonation impeccable, qualité tout sauf acquise en musique contemporaine. L’orchestre de la même Philharmonie est lui aussi irréprochable dans son interprétation précise mais engagée, sous la surveillance du maestro Penderecki à la baguette.
Les Psaumes de David, pour chœur mixte et percussions (comptez également deux pianos et une contrebasse) sont dans la veine du Thrène ou du Concerto pour violon, encore très peu donnés. Les textures grouillantes, sombres et fourmillantes instaurent à coup sûr l’atmosphère cauchemardesque caractéristique des premières œuvres du compositeur. Pourtant, derrière l’austérité de la pièce se cachent des effets dramatiques biens sentis (la fin du Psaume 143) annonçant les chefs-d’œuvre tardifs à venir. Poussant le mélange d’influences encore plus loin, le Stabat Mater, mais aussi les autres extraits de la Passion selon Saint Luc intègrent le chant grégorien à une méditation tendue faite de collages et de superpositions modales, et comptent certainement parmi les pièces les plus réussies de l’album.
C’est lors de la bascule vers un post-romantisme aveugle que nous nous avouons cependant moins convaincus. Avec un langage harmonique réduit à sa plus simple expression et une recherche rythmique qui semble s’être essoufflée, le Dies Illa (datant de 2014) ne se définit plus que par la pompe grandiloquente qui l’habite. Les sempiternelles septièmes diminuées plaquées au chœur et à l’orchestre empâté rappellent les heures les plus sinistrement ennuyeuses d’un 19e siècle que l’on pensait avoir laissé à juste titre derrière nous (le « Rex tremendae » ferait volontiers rire si tout cela n’était pas à prendre avec le plus grand des sérieux). A cet effet, les voix choisies par le compositeur arrivent à propos : les timbres opulents de la soprano Johanna Rusanen et d’Agnieszka Rehlis s’insèrent volontiers dans cette écriture qui privilégie le son large. Il en va de même pour la basse chaleureuse et grasse de Nikolay Didenko, mais ce n’est probablement pas suffisant pour faire avaler à l’auditeur les imprécations misérabilistes de la musique. Dans cette dernière phase compositionnelle, ce sont donc avant tout les pages a cappella – le « Recordare » ou la Missa brevis, plus humble dans l’expression – qui sont à privilégier. Les œuvres de plus grande envergure telles que les deux hymnes à Saint Daniel et Saint Adalbert valent elles aussi une écoute plus attentive, bien qu’elles ne se défassent pas encore pleinement de leurs facilités d’écriture et de décibels gratuits. Regrettons enfin le deuxième volume, qui n’est qu’une compilation de pièces chorales a cappella tirées des œuvres symphoniques du compositeur, sans lien apparent puisque nous réentendons certaines pièces déjà publiées dans le premier volume.
Si Krzysztof Penderecki reste à coup sûr bien plus que le compositeur du Thrène mondialement joué, il n’est pas certain que les dernières œuvres de celui-ci se frayent un chemin jusque dans les salles de concert françaises.