Margaret Price n’a pas laissé autant de témoignages discographiques que son timbre censément discogénique l’eût permis. Il est bon qu’un éditeur allemand nous propose ici des extraits de ses récitals munichois, de 1977 à 1991. On ne niera pas que, dans l’intervalle de ces quatorze années, l’émail du timbre se soit quelque peu terni, ou rayé. Ainsi, le « Casta Diva » de 1991 n’est pas sans stridences ni raccourcis de souffle pénalisant les vocalises. Dès 1986 s’entendent certes les prémices d’un déclin assez précoce (« Poveri fiori » trémule). Mais même dans ces moments de moindre splendeur, comment ne pas rendre les armes devant l’art d’une chanteuse entièrement vouée à la discipline de la ligne de chant, à l’incarnation passant non par l’effet, mais par un investissement émotif, une intériorité, irrésistibles ?
Les airs captés en 1977 et 1981 avec Heinz Wallberg sont ici les plus nombreux. Alors, on ne sait qu’admirer. L’aptitude de ce timbre à se faire alto, violon, voire violoncelle ? Ou simplement la plénitude émotionnelle : ce « Ritorna Vincitor » ne laisse ignorer ni la tendresse ni la détresse ; et l’air d’Anna ouvrant le récital lance des dards acérés comme rarement. A l’exception d’un extrait de Freischütz, tout ici est en italien : avec quel art Margaret Price savait trouver dans le mot le sens du phrasé, dans le rythme intime de la langue, dans les couleurs des voyelles l’intention affective (ce « numi pietà » d’Aida ! cette manière de dire « scoglio » dans l’air de Fiordiligi !). Quoique captés lors de récitals, ces airs présentent les personnages dans leur absolue intégrité, dans leur nudité, pour ainsi dire dans leur crudité.
Si les Mozart sont suprêmes, les Verdi sont historiques. L’opulence requise par ces airs épargne à Margaret Price les pailles d’intonation qui s’entendent au lied. Voici, on l’a dit, une Aida mémorable, une Ballade du Saule à faire pleurer les pierres, où s’entend l’intimité d’un berceuse et la déchirure du souvenir, et surtout, surtout, un « Tu che le vanità » impérial et brisé, où palpitent toutes les plaies d’une sensibilité blessée et, à la fin, une supplication presque vacillante, d’une humanité dont on ne sait plus si elle est du personnage ou de la chanteuse même.
Margaret Price est ici accompagnée merveilleusement par un Rundfunkorchester de Munich qui, quel que soit le chef, contemple ses plus beaux timbres au miroir de cette voix.
Sylvain Fort