Diriger l’Académie royale de musique n’était sans doute pas plus facile que de diriger l’Opéra national de Paris : manque chronique de moyens, difficulté à renouveler le répertoire, caprices des stars… Il n’y a peut-être que les grèves qui n’étaient pas encore à l’ordre du jour au XVIIIe siècle. En tout cas, la stratégie marketing était déjà un art pratiqué avec brio. Faire du neuf avec du vieux, et présenter le tout sous un emballage susceptible d’attirer le chaland, voilà ce que surent pratiquer les directeurs successifs lorsque, après la mort de Rameau et avant l’arrivée de Gluck, le genre lyrique connut à Paris une période de creux relatif. Le nom de Lully trônait toujours au sommet du Parnasse français, et en reprenant sa musique, on était sûr de satisfaire les partisans de la tragédie lyrique à l’ancienne. La ruse consistait alors à ne garder de la musique de Lully que le strict nécessaire, en confiant à des compositeurs bien vivants le soin de « toiletter » la partition. Derrière ce « remaniement » se cache en fait un résultat qui tient autant de la création, sinon davantage. Mais le nom de Lully était plus vendeur que ceux de Dauvergne, Rebel et Bury réunis, et il l’est toujours, apparemment, puisque ce Persée 1770 est attribué au seul Lully sur le devant du disque.
On ne cherchera pas ici à établir le pourcentage exact des ingrédients, qui justifierait ou non que le nom du Florentin figure en aussi bonne place : c’est un Persée « avec de vrais morceaux de Lully dedans » qui nous est proposé, mais le tableau d’ensemble n’en est pas moins celui d’une œuvre bien postérieure d’un siècle aux succès du compositeur de Cadmus et Hermione. Aux deux bouts de ce Persée, nous sommes incontestablement en 1770, avec la superbe ouverture et le grand final du quatrième acte, tous deux signés Dauvergne, nouvelle confirmation de l’éminence de celui dont nous avions déjà salué l’admirable Hercule mourant. Les interventions de ses collègues sont un peu moins frappantes, Bernard de Bury pour l’acte II et François Rebel pour le III.
Enfin, même s’il s’agit ici d’une prise de son en direct, les micros semblent avoir accompli leur action bénéfique, puisque l’écoute du disque ne confirme pas certaines impressions négatives décrites au sortir du concert par notre collègue Guillaume Saintagne. Les problèmes de projection et d’équilibre sonores ont été résolus, et même les reproches concernant la diction des uns ou des autres n’ont plus de raison d’être. Somme toute, le disque nous permet de savourer pleinement les divers talents présents dans une distribution réunissant bon nombre de ceux que le CMBV considère désormais comme sa « troupe » officieuse. On ne citera ici que quelques noms parmi les nombreux solistes. Mathias Vidal excelle dans un rôle trop court pour lui donner toutes les occasions de briller. Le jaloux Phinée anime Tassis Christoyannis d’une véhémence inaccoutumée et tout à fait bienvenue. Cyrille Dubois est un Mercure des plus suaves, et Thomas Dolié cumule quatre petits rôles alors qu’il aurait mérité un personnage de premier plan. Méduse, rendu par Rebel à une voix de femme (Lully avait prévu un timbre grave), donne à Marie Kalinine la possibilité de renouer avec les fastes de son Armide de Sacchini. Chantal Santon-Jeffery hérite de quelques airs virtuoses dont elle ne fait qu’une bouchée.
Quant à Hervé Niquet, il impose des tempos toujours très rapides, souvent efficaces, mais ce qu’il reste ici de récitatif lullyste aurait peut-être eu besoin de respirer plus paisiblement. Les choristes et les instrumentistes du Concert Spirituel n’en réalisent pas moins un fort beau travail. Quant au livre qui accompagne les galettes, il est somptueusement illustré, raison supplémentaire de se procurer ce Persée qui, répétons-le, n’a pas tant que ça à voir avec celui qu’enregistrait Christophe Rousset en 2001 pour le label Astrée.