Voilà une Petite messe solennelle qu’on ne mettra pas entre toutes les mains, ni sans doute dans toutes les oreilles. Le chef Giulio Prandi en propose une lecture délibérément émaciée. Se fondant sur la nouvelle édition critique de la Fondation Rossini, il en attribue la part orchestrale à deux pianos (un Erard et un Pleyel) et un harmonium (Debain), fidèle en cela aux intentions premières de Rossini qui, initialement, n’avait point envisagé de solliciter pour cette œuvre les grands ensembles qui désormais lui sont systématiquement affectés.
Sensible au goût du Pesarais pour les ensembles réduits qu’attestent ses rares et tardives compositions, Prandi y voit en outre une dimension qui ne se réduit pas aux contraintes matérielles : cette pauvreté du matériau sonore dans la Petite messe solennelle est l’ascèse qui permet d’atteindre au nerf spirituel de l’œuvre. De sa fréquentation des pièces sacrées du XVIIIe siècle, le chef en effet a retenu la régression quelque peu fâcheuse du sens spirituel même de la musique, fût-elle censément sacrée.
Assurément, le résultat sonnera bien rêche aux oreilles accoutumées aux ruisselantes splendeurs du dispositif orchestral, non moins que le Coro Ghislieri, dont les interventions ne laissent jamais oublier qu’ils exercent le plus souvent dans un répertoire d’une plus grande austérité, avec une technique adaptée à des partitions plus contemplatives, et liturgiques.
Abandonne tout hédonisme, toi qui entres ici. Il faut bien ajuster son oreille aux intentions du chef puisque l’inverse assurément ne se produira pas. Encore faut-il retrancher de notre mémoire sonore les interprétations luxuriantes qu’on y a si souvent entendues pour ne pas rejeter les options prises ici comme une simple posture franciscaine. Ce qui se produit alors est assez intéressant, puisque ce n’est pas l’œuvre interprétée autrement qui se présente à nous, mais presque une autre œuvre. Radiographiée par cette lecture, elle fait certainement toucher du doigt ce qui, dans cette écriture, ressortit directement à l’invocation sacrée, que la nudité de la substance sonore surexpose aux dépens de la dimension « di bravura » qu’on y attend coupablement.
Ah, rien ici ne flattera notre concupiscence musicale ! On se demande cependant parfois ce que l’on a fait pour mériter ainsi que notre haire fût serrée avec notre discipline, car tout de même, le dépouillement confine plus souvent qu’à son tour à la purge de nos péchés. Lorsque s’élève dans cette morigéneuse ambiance la voix stellaire de Sandrine Piau, nous nous prenons à rêver violoncelles, chœurs pléthoriques, emportements fiévreux, fontaines de plaisir sonore. Voilà qui est fort mal et pour notre peine, nous réécouterons ce disque jusqu’à ce que le flonflon de l’harmonium nous semble le timbre le plus désirable du monde. Toi aussi, pécheur lyrique, essaie encore.