Il semble maintenant que Verdelot précéda Arcadelt et Costanzo Festa comme « père du madrigal ». Si chacun dut y prendre une part importante, le « Français » (né vers 1480 aux Loges, commune de Verdelot) fut très tôt en Italie où il allait demeurer jusqu’à sa disparition, à une date incertaine, dans les années 1540. Il fut maître de chapelle du baptistère Saint-Jean à Florence entre 1523 et 1525. Sa réputation fut extraordinaire, on compte ainsi jusqu’à onze rééditions de tel volume publié par Scotto. Signalé par Rabelais dans sa fameuse liste de musiciens (Quart Livre, 1548), son nom figure entre ceux de Josquin et de Clemens non Papa pour avoir « restauré la musique dans sa vraie perfection » (1567). Mêlé aux turbulences politiques du temps, il fréquenta Machiavel (avec lequel il écrivit La Mandragorla), et on trouve sa trace dans les grandes cités de l’Italie du Nord. Ses madrigaux, auxquels il se consacra presqu’exclusivement entre 1533 et 1542, furent publiés peu après à Venise, comme il se doit. Malgré les travaux d’Alfred Einstein, et le début de collection monumentale initiée par Anne-Marie Bragard (3 volumes consacrés à la musique d’église entre 1966 et 1979), l’œuvre profane de Verdelot n’est guère enregistrée. A part l’unique CD (2001) consacré au premier livre de madrigaux, on ne trouve que quelques pièces dans des anthologies diverses. C’est déjà le premier mérite de cette réalisation de la basse Elam Rotem, animateur de son quatuor vocal Profeti della Quinta. Un consort de quatre violes se joint aux chanteurs, et réalise quatre des vingt-deux madrigaux (soit la moitié de ceux publiés dans les Livres I & II).
Le madrigal, alors tout neuf, vise à l’illustration musicale idéale du poème qu’il sert. L’intelligibilité du texte est essentielle. Aussi l’homophonie (qualifiée par Einstein de « polyphonic animated homophony ») est-elle privilégiée. Finies les réitérations de la même musique pour de nombreux couplets, comme dans la frottole : l’expression musicale se renouvelle en fonction du texte. Lorsqu’il y a réitération, elle est porteuse de sens (Con lagrime e sospir). Toute la panoplie illustrative est mise à contribution pour amplifier la portée du texte, que ce soit au niveau de la métrique et des rythmes, de la mélodie, et des consonances (Profeti della QUINTA !). Ainsi, le chromatisme, qui deviendra fréquent dans les décennies suivantes, prend toute sa force dans le Passer mai solitario in alcun tetto. L’introduction que signe Elam Rotem traduit ses solides connaissances et l’acuité de son observation. Comme Marc Honegger, qui avait éclairé l’interprétation des messes de Josquin par la découverte de leur mise en tablature de luth, traduisant la musica ficta, Elam Rotem use des transcriptions de Willaert pour renouer avec la pratique du temps. Pourquoi n’en avoir restitué aucune et avoir choisi de présenter les madrigaux chantés par les quatre voix, les quatre instruments ou la combinaison des deux ? Dès leur publication ils furent déclinés sous de multiples formes (où le luth était le compagnon habituel). Même si le terme de broken consort nous vient d’Outre-Manche, toute l’Europe d’alors pratiquait ainsi. L’auditeur peu familier de ce répertoire aurait été séduit par une alternance des formations permettant de varier les couleurs.
Toutes les parties, à l’exception du superius, sont tenues par des voix d’hommes. La longue et patiente préparation de l’enregistrement, à la faveur de la pandémie, permet à la formation d’atteindre à l’excellence : l’homogénéité, les équilibres, le mariage des timbres, l’écoute et la complicité de chacun, tout concourt à une réussite singulière. Seules petites ombres au tableau : pourquoi n’avoir pas signalé les sources des textes chantés (connues pour l’essentiel) ? La brochure (allemand-anglais) les reproduit, dans leur version originale et dans leur seule traduction anglaise.