Ténor belcantiste révélé au milieu des années 2000, à Paris notamment avec une Sonnambula aux côtés de Natalie Dessay dont le disque conserve le témoignage, Francesco Meli semble avoir depuis réduit la voilure. Son champ d’action se circonscrit aujourd’hui à la péninsule italienne, Rome principalement, où sous la direction de Riccardo Muti il explore le répertoire verdien. La publication par Opus Arte de ce récital discographique — le premier sauf erreur de notre part — aurait pu combler cette relative absence du circuit international. Elle ne fait que souligner le hiatus qu’il existe parfois entre la scène et le disque. Enregistré, le chant de Francesco Meli perd une partie de ce qui en direct fait son impact : la puissance, supérieure à la moyenne, la maitrise de la demi-teinte, un timbre à la séduction immédiate. Sont surlignés à l’inverse la dureté de l’émission et l’abus d’intentions. Faut-il incriminer la prise de son, très — trop — franche, ou l’accompagnement de Matteo Pais, très — trop — sec, le piano dans les extraits d’opéra s’avérant moins flatteur que l’orchestre ? Pas seulement. Les mélodies de Tosti qui, à Pesaro en août 2010, étaient traversées d’émotion, passeraient presque inaperçues si nous n’en avions gardé le souvenir poignant. Les trois sonnets de Pétrarque qui figuraient aussi à l’affiche de ce même concert supportent mieux la comparaison mais que de maniérisme dans ces pièces d’une redoutable difficulté d’exécution. Et si, tout simplement, la voix de Francesco Meli n’était pas phonogénique ? Puis, que viennent faire en début de programme les Sept sonnets de Michelangelo composés en 1940 par Benjamin Britten à l’attention de Peter Pears ? Il y a autant de différence entre la vocalité des deux ténors qu’entre un Nero d’Avola et un Darjeeling. Les arômes puissants qui envahissent ici cette musique la neutralisent plus qu’elles n’en exaltent la subtilité. Au cœur de cet improbable melting pot, se glissent des airs d’opéras français et italiens. Sans surprise, Verdi et Donizetti conviennent mieux que Gounod et Massenet à la prononciation trop exotique, mieux même que l’incontournable Danza de Rossini, marquée ici d’un pas lourd. Dans « Angelo casto e bel », passe l’ombre de tout ce que l’on aime chez le ténor italien, un subtil mélange de passion et de douceur, une capacité à nuancer, des accents caressants, une mélancolie, un charme… Bref, tout ce que ce disque n’offre pas mais que l’on espère retrouver prochainement live dans une salle de concert, mieux de théâtre.
Si Francesco Meli semble avoir choisi de borner sa vie professionnelle à l’intérieur des frontières de son pays, Ekaterina Siurina mène en revanche une carrière internationale. Epouse du ténor américain Charles Castronovo, cette soprano russe s’est déjà produite dans la plupart des maisons d’opéra de la planète. Exquise mozartienne – Ilia et Zerlina à Salzbourg, Susanna à l’Opéra de Paris –, elle se tourne depuis quelques années vers le répertoire du XIXe siècle, avec Donizetti (Giulietta, Adina), Verdi (Gilda). Pour son premier disque, c’est vers ces compositeurs que le choix s’est porté, et l’on pourrait s’en étonner. La limpidité de sa voix cristalline est-elle en effet le meilleur atout pour défendre ces mélodies qui sont loin de compter toutes parmi les plus inspirées de leurs auteurs et qui, pour convaincre, exigent souvent un ton plus dramatique et un timbre plus corsé ? Les pièces s’enchaînent ici sans jamais vraiment retenir l’attention ; tout cela est très bien chanté, mais cette heure de musique paraît bien longue, avec toutes ces plages qui se ressemblent.
La nécessité de choisir judicieusement le programme d’un récital n’est plus à démontrer, et le problème se pose en termes bien plus criants dans le cas d’Ailish Tynan, soprano irlandaise qu’on a notamment pu entendre à l’Opéra-Comique en Héro de Béatrice et Bénédict et Miss Wordsworth dans Albert Herring, rôle qu’elle reprendra en janvier-février prochain à Toulouse. Dotée d’un timbre assez particulier, cette artiste n’a pas toujours convaincu nos confrères. Nous nous contenterons de nous étonner du choix, ô combien difficile, d’un récital exclusivement composé à Fauré pour son premier disque en solo. Pour être globalement correcte, l’articulation française d’Ailish Tynan ne lui permet malheureusement pas de rendre toutes les nuances des poèmes mis en musique par Fauré, pas plus que ses ressources expressives ne l’autorisent à varier suffisamment l’intonantion pour tout à fait éviter l’ennui. Ailish Tynan a déjà enregistré en solo plusieurs disques pour lesquels elle chantait dans son arbre généalogique (Irish Songs de Herbert Hughes) ou surtout dans sa langue (Judith Weir), mais avec la mélodie française classique, elle s’expose à de cruelles comparaisons avec les plus grandes. Et pour espérer jouer à armes égales, encore aurait-il fallu trouver, pour elle comme pour Siurina, un accompagnateur moins prosaïque que Iain Burnside, parfois bien lourd, chez Fauré surtout.