On ne compte plus, depuis la naissance de l’opéra au tournant du XVIIe siècle, le nombre d’ouvrages qui tentent de percer les mystères du genre. Art lyrique ; art paradoxal dont le premier des paradoxes est d’exprimer l’inexprimable ; art protéiforme, adoré des uns et honni des autres ; art populaire réservé à une élite ; art cathédrale ; art démodé mais toujours vivant, l’opéra ne laisse d’interroger.
Julie Boch, universitaire mais aussi hautboïste et choriste amateur, se penche à son tour sur la question dans un opuscule de la collection « Petite philosophie du voyage » (collection à laquelle nous devons déjà un goût de la politesse1 qui devrait figurer sur toutes les bonnes tables de chevet).
D’une prose aussi habile que savante, l’auteur explore les arcanes de l’art lyrique, comme on visite les pièces d’une maison familière. L’opéra, foyer d’émotion, lieu de spectacle, arène ensanglantée où depuis quatre siècles s’affrontent parole et musique dans un combat sans issue. L’opéra, son répertoire, ses héros et ses héroïnes, ses rites, son public et ses aficionados Julie Boch tout en expliquant émaille son récit d’anecdotes et d’expériences, non sans humour d’ailleurs (très amusant, la scène du cliquètement des bracelets de la voisine qui, à la fin d’une représentation de Tristan, donne à la mort d’Isolde un air de samba brésilienne).
Ce livre finalement, n’importe lequel d’entre nous aurait pu l’écrire. Peut-être pas aussi bien mais en voulant, de la même manière que Julie Boch, convertir le lecteur ignorant ou sceptique – voire les deux – au charme puissant d’un genre révéré entre tous. A ce titre, on le recommandera davantage au novice qu’à l’initié. On ne le parcourra pas moins avec plaisir tant la mémoire, infidèle, a besoin qu’on lui redise plusieurs fois les choses pour pouvoir mieux les oublier. Ainsi cette anecdote relative à Wagner que l’on connaissait déjà mais qu’on ne se rappelait plus. En apprenant l’incendie de l’Opéra de Vienne en 1881, le compositeur refusa de s’apitoyer sur le sort des victimes au motif qu’elles avaient péri en écoutant Les Contes d’Hoffmann, « une opérette d’Offenbach ». Ou cet apophtegme de Flaubert dont il faudra tâcher cette fois de se souvenir pour, sûr de son effet, le placer lors d’un prochain dîner en ville : « L’opéra est comme l’amour : on s’y ennuie mais on y retourne ».
Christophe Rizoud
1 Bertrand Buffon : Le goût de la politesse, petit précis des bonnes manières à l’usage du vaste monde