Tosca. Tosca. Mimì. Tosca. Tosca. Tosca. Mimì. Tosca. Tosca. Mimì. Ce n’est pas un message en code morse, mais le contenu de l’agenda d’Angela Gheorghiu ces dernières années, si l’on excepte deux Adriana Lecouvreur en 2017. Pourtant, à côté de ce sacerdoce puccinien, la soprano roumaine trouve aussi le temps d’offrir à ses fans un récital ici et là, où l’auteur de Turandot n’a sa place qu’en bis, avec un bien innocent « O mio babbino caro ». Le programme, ces dernières années, à Paris comme à Londres, en est essentiellement composé de ce que les Anglo-Saxons appellent lollipops, autrement dit ces sucettes ou bonbons bien sucrés qui enchantent un certain public quel que soit le pays. Les sucettes relèvent parfois aussi de l’aimable n’importe quoi, comme « Le Grillon » où il est clair que Rameau ne saurait avoir mis en musique un poème de Béranger (né en 1780), ou l’ineffable « Tristesse » arrangé par Felia Litvinne sur la célébrissime Etude de Chopin. Si vous avez l’oreille diabétique, peut-être préférerez-vous éviter ce disque à forte teneur en glucides musicaux.
Pour les autres, il y a aussi quelques remarques préliminaires à formuler. Le régime Tosca évoqué plus haut laisse évidemment des traces, et on pourra trouver beaucoup de vibrato sur certaines fins de phrase. On pourra être un peu effrayé par les graves poitrinés de « Chagrin d’amour », comme si Santuzza adressait ce chant à Turiddu. Par ailleurs, le yaourt est bulgare, mais Angela Gheorghiu est roumaine, et le français est une langue qu’elle a eu l’occasion de pratiquer couramment à une certaine époque : elle sait donc s’y faire parfaitement comprendre, quitte à rouler parfois trop ses R, malgré tel e muet devenu un è, et même si l’Heure de Reynaldo Hahn est ici « esquise » : seule exception notable, « Après un rêve », un peu moins intelligible, sans doute enregistré un moins bon jour.
Mais – et ce « mais » est d’importance – dans ce disque, ce qui éclate dans ce programme, c’est la difficilement résistible personnalité d’Angela Gheorghiu. C’est un charme inimitable qui imprègne chacune des pages ici interprétées, depuis la fraîcheur virginale du « Cantecul » (Chant du sifflet) jusqu’à l’espièglerie d’ « El vito ». Sur le papier, la liste des compositeurs peut paraître hétéroclite, mais l’artiste sait y révéler les différentes facettes de son talent, dans les agaceries de Paisiello (où les « mi pizzichi, mi stuzzichi » annoncent le final des Noces de Figaro) comme dans la mélancolie bellinienne de « Vaga luna ». Les trois Tosti, par une chanteuse moins experte, produiraient-ils le même effet ? Certainement pas, car ils sont ici magnifiés par cette voix ensorceleuse.
Un compositeur surprend, car il était absent du programme des récitals publics : Richard Strauss. Pourquoi Angela Gheorghiu ne l’a-t-elle pas davantage servi ? Certes, l’allemand n’est vraiment pas une langue qu’elle a beaucoup chantée, et cela s’entend bien un peu, mais avec ce charme à revendre, son timbre capiteux aurait pu y faire merveille. La fougue de « Cäcilie » lui convient mieux encore que la sérénité de « Morgen ! »
Même remarque chez Rachmaninov, où après un « rêve » pudique, la soprano déchaîne toute son énergie pour laisser s’écouler des « eaux du printemps » plus orgiaques que jamais, avec la complicité sans faille de la pianiste Alexandra Dariescu.
Pour les auditeurs d’Europe occidentale, ce disque sera peut-être l’occasion de découvrir ces classiques de la musique roumaine que sont George Stephănescu (1843-1925), auteur de plusieurs opéras, et Tiberiu Brediceanu (1877-1968), longtemps directeur de l’Opéra de Bucarest.
Si The Bohemian Girl fut le plus grand succès de l’époque victorienne, on ignore ce « ballad opera » en France, et tant mieux si Angela Gheoghiu peut contribuer à le faire connaître, « I dreamt I dwelt in marble halls » étant souvent l’air par lequel elle conclut ses récitals. Le disque se referme comme sur deux bis : un calme pour indiquer au public qu’il est temps d’aller dormir, la « Melodia sentimental » de Villa-Lobos, et un emporté pour montrer que cette fois, c’est vraiment fini, un Obradors où se sont illustrées en leur temps mesdames de los Angeles, Berganza et Caballé. Eh oui, toutes les divas ou presque aiment les sucettes.