Encore un sans faute pour Jonas Kaufmann qui, après Romantic Arias et Sehnsucht, continue de démontrer qu’il peut tout interpréter avec un égal bonheur ? Pas si sûr. Ce Verismo Arias, annoncé à grands renforts de promotion (cf. le site de Decca) ne serait-il pas la première ombre au tableau d’un parcours jusqu’alors étincelant ? On aime évidemment brûler ce qu’on a adoré. Au bout d’un certain temps, il est aussi de bon ton de faire la grimace. Là n’est pas notre genre. Reconnaissons pour commencer que la voix du ténor allemand n’a rien perdu de son sex-appeal. Puissante, ce que le disque même laisse entendre, large, égale. Ici encore, le chant s’affirme à la fois robuste et raffiné, un paradoxe qui en fait l’intérêt. Reconnaissons aussi que tout est affaire de goût. Un timbre sombre peut disconvenir aux amoureux de l’azur italien, à ceux pour qui l’exaltation de « Cielo e mar » est un puits de lumière, l’improvviso d’Andrea Chenier un manifeste latin ; il n’empêche que les héros véristes présentés ici ont fière allure. Mais une fois ces arguments posés, on ne peut empêcher la déception d’affleurer.
« Dans cette musique, tout n’est qu’âme et passion » déclare Jonas Kaufmann à propos du répertoire vériste. Eh bien ! C’est justement là que le bât blesse. De la passion, il y en a revendre tout au long des dix-sept plages qui composent le programme mais à la fois trop et pas assez. Trop, à l’écoute de ces airs qui se succèdent chargés de la même emphase, brossés des mêmes teintes funestes, uniformément tragiques. Même le « Viva il vino spumeggiante », voulu précisément pour apporter un peu de bonne humeur, fait froid dans le dos. Et pas assez, parce que malgré tout il manque à l’interprétation ce qui accompagne le feu dont elle témoigne : la chaleur. « Amor ti vieta » n’a pas besoin d’être chargé de sens pour irradier. Sa force, comme celle de la plupart des autres airs de ce répertoire, réside dans une spontanéité qu’on cherchera en vain chez Jonas Kaufmann. « Dai campi, da prati » chanté comme un lied relève pour nous du contresens. Tout cela reste subjectif. Impossible en revanche de ne pas admettre que l’abus de sons couverts nuit à l’expression. Malgré le soin porté au mot, les « a » deviennent souvent des « o » (« vesti la giubbo » !). Plus préoccupant, la difficulté que semble avoir Jonas Kaufmann pour alléger le son et certaines notes qui donnent l’impression désagréable qu’il se trouve à court de souffle (« È la solita storia »). Puis, quand on compare avec d’autres ténors, on constate que l’on a entendu mieux ailleurs. Roberto Alagna par exemple qui est l’un des derniers à avoir tenté l’exercice* possède davantage d’éloquence. Même Jon Vickers, à qui on peut reprocher une certaine uniformité dans la couleur, véhicule plus d’émotions. A la décharge de Jonas Kaufmann, on doit dire qu’Antonio Papano, n’essaie pas de varier les climats. Au contraire, sa direction d’orchestre (un Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia rutilant !) exagère encore le dramatisme du propos.
Pour ne pas conclure cependant sur une note trop négative, saluons, parmi ces airs que l’on a déjà entendus – mieux – chanter ailleurs, l’extrait d’I lituani (« Sì. . . questa estrema grazia »), l’un des meilleurs moments du disque, peut-être justement parce qu’on ne peut pas faire de comparaison. A noter aussi un « Ombra di nube » qui lève le rideau de l’oubli sur Licinio Refice, prêtre et compositeur mort à Rio de Janeiro durant une représentation de son opéra Cecilia (Renata Tebaldi chantait le rôle titre). Puis, si ce disque n’est pas un de ceux que l’on écoutera régulièrement, il faut avouer qu’il contient quelques joyaux : un « vesti la giubba » désarmant de rage, un « Giulietta! Son io! » de Zandonai qui relève du grand art. A noter aussi, en fin de programme, alors que l’oreille assommée de pathos s’engourdit, l’irruption salvatrice d’Eva-Maria Westbroek dans le duo final d’Andrea Chenier. Non que le soprano soit une Maddalena di Coigny très concernée mais le charme puissant de sa voix agit immédiatement. Un luxe, qui pour un peu, ferait le prix de cet enregistrement.
Christophe Rizoud
*Nessun dorma – EMI Classics