Il y avait Timpani ; il y a désormais aussi Delos. Après avoir rendu à Nadia Boulanger un hommage infiniment mérité, le label américain poursuit son entreprise de défense et illustration de la mélodie française avec une autre compositrice négligée : Poldowski, alias Irène Régine Wieniawska, alias Lady Dean Paul (1879-1932). Fille du virtuose polonais Henryk Wieniawski, élève d’André Gédalge et de Vincent d’Indy, épouse d’un lord anglais, celle qui s’était choisi le pseudonyme de « Poldowski » composa principalement entre 1900 et 1910 les mélodies – essentiellement sur des poèmes français – qu’elle publia à partir des années 1910 en France, des années 1920 en Angleterre. Le présent disque inclut seulement quatre premières mondiales, ce qui est finalement plutôt bon signe, mais ne veut pas dire pour autant que ces pages soient très régulièrement interprétées.
Pourtant, il y a là de fort belles choses, et l’on placera très haut le sublime « Narcisse » avec son quatuor à cordes, authentique chef-d’œuvre, infiniment plus aventureux que toutes les autres compositions rassemblées sur ce disque et qui, avec ses harmonies post-debussystes, aurait tout à fait sa place dans le répertoire des œuvres françaises pour voix de soprano et quatuor, comme les Poèmes hindous de Maurice Delage ou les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé de Ravel. Presque au même niveau s’élève une « Sérénade », sur un poème plein de naïades et d’yeuses dû à un certain Adolphe Retté, avec son accompagnement inattendu. On retiendra aussi les notes piquées de « Mandoline », où Poldowski arrive à se faire une place aux côtés des plus grands (soulignons au passage le jeu admirable de la pianiste Gwendolyn Mok). Evidemment, en décidant de mettre en musique des poèmes de Verlaine, Poldowski n’avait pas tout à fait choisi la facilité. A l’impossible, nul n’est tenu, et qui a en tête la version Reynaldo Hahn sera assez inévitablement déçu par son « Heure exquise ». Et c’est peut-être un jeu cruel que de rapprocher délibérément, en fin de programme, la version Poldowski de certains poèmes et celle qu’ont donnés les plus grands à la même époque. Comment lutter contre le charme entêtant de la mise en musique apparemment si simple d’« En sourdine » par Reynaldo Hahn, toujours ?
La voix diaphane d’Angelique Zuluaga se déploie sans peine dans la virtuosité exigée par le « Pierrot » du jeune Debussy. On sent la soprano américaine plus à l’aise dans les quelques mélodies en anglais sur lesquelles s’ouvre le disque, mais elle possède une assez bonne prononciation du français, à laquelle on pourra néanmoins reprocher diverses erreurs ici et là (un « u » devenu « ou », un s qui sonne à la fin de « depuis », trop de n audibles alors qu’ils devraient être nasalisés, quelques soucis de « e » et de « é »). Il pourrait parfois y avoir un peu plus de consonnes, mais on se laisse aisément séduire par une certaine réserve toute anglo-saxonne qui rappelle la pudeur avec laquelle une Josephine Veasey chantait la Marguerite de La Damnation de Faust.