De nouvelles versions du Stabat Mater ne cessent de paraître depuis quelques mois. Après Stéphane Denève à Stuttgart (superbe version), Paavo Järvi à Paris (moins superbe), voici Daniel Reuss à Tallinn qui nous offre un disque passionnant.
Car plutôt que d’associer classiquement ce Stabat Mater au Gloria (un couplage que Denève bousculait déjà en proposant la rare version avec chœurs du ballet Les Biches), Daniel Reuss choisit les plus rares encore Sept Répons de Ténèbres dont il n’existe guère que le très bel enregistrement des Sixteen et celui, plus ancien, de Georges Prêtre. Ces Répons sont la dernière partition de Poulenc où le compositeur traduit à la fois la sérénité de la maturité et son angoisse de la mort, d’où un discours très contrasté, parfois étrange (la série dodécaphonique qui ouvre le Jesum tradidit impius), avec des réminiscences des Dialogues des Carmélites, récemment écrits, et où le « moine » l’emporte sur le « voyou », autant d’éléments qui rendent cette œuvre si personnelle, si touchante et dont Daniel Reuss excelle à traduire toute la profondeur.
C’est à la lumière, ou plutôt à l’ombre, des Répons qu’il aborde ensuite le Stabat Mater, ce qui explique la profonde affliction caractérisant cette interprétation. On a connu lectures plus straviskiennes de l’œuvre mais peu en exaltent à ce point la douleur et la tristesse. Le soprano lumineux et magnifique de Carolyn Sampson n’en prend que davantage de relief. Mais ce qui frappe tout d’abord dans cet enregistrement, c’est la sonorité des chœurs (l’Estonian Philharmonic Chamber Choir et la Cappella Amsterdam) typiquement nordiques, avec des voix très « droites » et pures, qui donnent une lisibilité exceptionnelle à la riche écriture polyphonique de Poulenc (on regrettera d’autant plus un accord final du Stabat où les ténors peinent à s’accorder sur la quinte de l’accord). Les pages a capella sont ainsi absolument renversantes de beauté (fabuleux début du Sancta mater, istud agas par exemple). La crudité recherchée et le refus de brillance des sonorités du superbe Estonian National Symphony Orchestra vont dans le même sens. Aucune froideur pourtant mais, à l’image de la superbe photo de couverture représentant la chapelle de Ronchamp du Corbusier, une vision intense et sombre.
Si les Sept Répons attendent toujours un enregistrement pour chœur d’hommes et de garçons tel que Poulenc l’a vraiment voulu, ce disque, original par son approche et magnifique quant à sa réalisation, n’en demeure pas moins absolument magistral.
Francis POULENC
Sept Répons de Ténèbres
Stabat Mater
Cappella Amsterdam
Estonian Philharmonic Chamber Choir
Estonian National Symphony Orchestra
Direction musicale
Daniel Reuss
Enregistré à l’Estonia Concert Hall de Tallinn en juin 2012
1 CD Harmonia Mundi HMC 902149 – 62’12