Giuseppe Verdi (1813-1901)
Ernani
Opéra en quatre actes (1844)
Fabio Armiliato (Ernani)
Daniela Dessi (Elvira)
Lucio Gallo (Don Carlo)
Giacomo Prestia (Don Ruy Gomez de Silva)
Elena Borin (Giovanna)
Fulvio Oberto (Don Riccardo)
Alessandro Svab (Jago)
Orchestra e Coro del Teatro di Regio di Torino
Direction Bruno Campanella
Enregistré au Teatro di Regio di Torini, juin 2007
2 CD SoloVoce – 8553170 – 64’39 ; 66’27
Pour inconditionnels seulement
Enregistré live à Turin en juin 2007, cet Ernani inaugure le contrat conclu entre le label allemand SoloVoce et le couple que forment à la scène comme à la ville Daniela Dessi et Fabio Armiliato1.
Une inauguration chargée de symboles puisqu’Ernani correspond également à la première création d’un opéra de Verdi à Venise (le suivant sera Attila en 1846), à sa première collaboration avec Piave et plus encore, au début d’une nouvelle manière, en rupture avec ses deux succès précédents, I Lombardi et Nabucco. La naissance d’un romantisme impétueux où les passions extrêmes prennent le pas sur les considérations politiques et religieuses et où la fresque chorale s’efface derrière les portraits de héros en acier trempé. En même temps qu’une nouvelle dramaturgie prend forme, de nouveaux profils vocaux se dessinent, notamment un baryton XXL dont Verdi fera sa marque de fabrique. Pourtant le couple vedette se rattache encore à une esthétique donizettienne qui exige un ténor plus extatique qu’héroïque (le rôle était prévu initialement pour un contralto, c’est dire qu’il se situait même à l’origine dans une perspective plus rossinienne que donizettienne) et une soprano dramatique d’agilité (à laquelle il fut refusé un rondo final, ce qui là encore nous ramène davantage à Rossini qu’à ses successeurs).
Des vocalités qui ne correspondent pas vraiment à celles de Fabio Armiliato et de Daniela Dessi. Lui surtout nous parait déplacé. On ne doute pas de son efficacité sur scène, les applaudissements en témoignent ; il apparaît nettement moins convaincant au disque, l’absence d’images accentuant l’impression d’un chant musclé, monolithique où chaque son semble comme frappé du plat de l’épée. Trop guerrier, cet Ernani ne peut compter ni sur la caresse du timbre, dénué de charme, ni sur l’éclat de l’aigu, solide mais systématiquement fermé. Le métal même de la voix, pose problème : sombre, il ne tranche pas suffisamment avec ceux de Carlo et de Silva. Restent les notes – toutes présentes –, une indéniable franchise et un bel usage de la demi-teinte dans le duo du II (« Ah, morir potessi adesso ! »), le seul moment de l’opéra où le ténor dégrafe enfin sa cuirasse.
On est moins loin du compte avec l’Elvira de Daniela Dessi. La soprano ne dispose pas non plus d’un timbre des plus séduisants mais, en technicienne avertie, sait le faire chatoyer : des couleurs crépusculaires – bruns, dorés – qui donnent à son héroïne un certain mystère, à défaut de charisme. Elle sait aussi, mieux que son compagnon, nuancer et user de la syntaxe belcantiste, ce qui nous vaut un « Ernani, Ernani, involami » sur le souffle, relevé de trilles et messa di voce du meilleur effet. Est-ce pour autant l’Elvira rêvée ? Fougueuse, fière oui mais sans fraîcheur, ni douceur.
A ce couple discutable, s’ajoutent deux clés de Fa assez ternes : Lucio Gallo dont on oubliera la ligne incertaine et les erreurs d’intonation dans « O de verd’anni miei » pour ne retenir que la conviction d’un Don Carlo qui joue mieux de la fureur que de la grandeur. Et le Silva de Giacomo Prestia qui semble marcher sur des œufs dans « Infelice ! E tuo credevi » et s’époumone dans « Infin che un brando vindice ». Le premier comme le second finalement assez en phase avec Daniela Dessi et Fabio Armiliato : sonores, sincères, engagés mais en mal de rayonnement pour un opéra qu’illuminent, au disque, d’autres références : Anita Cerquetti, Carlo Bergonzi, Mario Sereni, Nicolai Ghiaurov – la distribution idéale selon nous. Les passages où tous unissent leurs forces – duo, trio, heureusement nombreux – sont finalement ceux où nos quatre chanteurs nous semblent les meilleurs.
Une appréciation qui doit beaucoup à Bruno Campanella dont la direction veille tout particulièrement à l’équilibre des voix dans les ensembles même si, étonnamment lente, elle s’emploie plus d’une fois à éteindre le feu qui embrase la partition. C’est en vain donc qu’on espèrera la tornade romantique qui, balayant l’opéra, emporte l’auditeur mais on portera au crédit du chef d’orchestre la rigueur rythmique et la cohérence de l’approche.
En conclusion, rien d’indigne mais rien de transcendant. Un témoignage pour inconditionnels de Dessi et Armiliatio seulement. Les autres préfèreront attendre les prochains épisodes de l’aventure SoloVoce : La Traviata et, encore plus adéquats à notre avis, Manon Lescaut, Francesca da Rimini et La Fanciulla del West.
Christophe Rizoud
1 Lire la brève du 10 mai 2010