Bartoli, Malibran ; DiDonato, Colbran ; Florez, Rubini ; Jaroussky, Carestini et maintenant Hallenberg, Marcolini. Le récital biographique fait florès au disque et dans le cas présent l’on ne peut que s’en féliciter.
Si le nom de Marietta Marcolini est parvenu jusqu’à nous, c’est grâce à Rossini dont elle fut « la première muse » ainsi que l’explique Damien Colas dans le texte d’accompagnement de l’album, texte que l’on voudrait reprendre intégralement tant il s’avère instructif. Née à Florence autour de 1780 (on ne connait pas exactement l’année), disparue à une date tout aussi imprécise (on perd sa trace après 1820), la Marcolini est une de ces personnalités vocales engendrée par les excès d’un art alors à son apogée. Evidemment, aucun enregistrement ne témoigne d’un chant que l’on imagine suffisamment exceptionnel pour inspirer non seulement Rossini mais aussi les autres compositeurs de l’époque. Il faut donc essayer de reconstituer cette voix à partir de ses partitions : longue et agile, dans la droite ligne des castrats dont elle hérite la virtuosité. Le timbre devait être celui d’un vrai contralto : ombreux, pénétrant, ambigu. La nature des rôles taillés à sa dimension révèle un tempérament comique autant que tragique, à l’image de deux des rôles que composa Rossini à son intention : Isabella (L’Italiana in Algeri) à laquelle elle doit d’être passée à la postérité et Ciro (Ciro in Babilonia) dont a pu découvrir à Pesaro pas plus tard que cet été la silhouette colossale à travers le chant tout aussi impressionnant d’Ewa Podles (voir recension).
Le meilleur devant être gardé pour la fin, ce n’est pas un hasard si Ann Hallenberg choisit précisément de conclure son récital par la grande scène du roi de Perse, celle où en quinze minutes prémonitoires des grands personnages rossiniens à venir (Ciro in Babilonia est un opéra de jeunesse), il lui faut passer de la grandeur désespérée à la joie effrénée. Là seulement, la cantatrice suédoise consent à quelques-uns de ces écarts de registre dont sa consœur polonaise a fait désormais sa marque de fabrique. Au contraire, le chant d’Ann Hallenberg se caractérise par la sobriété et l’égalité, quelle que soit la hauteur des notes. La technique, apprise sur les bancs d’une école baroque endiablée, n’est pas à démontrer. L’aigu, plus affirmé que le grave, la consacre dans notre nomenclature d’aujourd’hui mezzo-soprano davantage que contralto. La matière même ne possède pas cette sombreur que l’on associe d’habitude à la plus grave des voix de femme. Ciro y gagne en humanité ce qu’il y perd en majesté, de même qu’Isabella, la belle Italienne à Alger, y gagne en naturel. Femme moins qu’ogresse, séduisante, intelligente et fière qui balance « pensa alla patria » sans jouer à la majorette. Il ne faudrait pas croire pour autant qu’Ann Hallenberg affadit des portraits que leur inspiratrice impose démesurés. La chanteuse a suffisamment de tempérament pour dessiner d’un trait vif des héroïnes et des héros plausibles à défaut d’être sensationnels. L’ornementation participe à l’illustration. Le ton sait se renouveler et il le faut car, Fabio Biondi à la tête du Stavanger Symphony Orchestra, n’expose pas les trésors d’imagination qui dans d’autres répertoires ont fait sa réputation. Reconnaissons à sa décharge que les compositeurs réunis ici n’ont pas tous la même verve que Rossini.
Paër et Mayr exceptés, on découvre leur musique avec curiosité et intérêt sans pour autant crier au génie. Il y a Giuseppe Mosca dont l’extrait de Le bestie in uomini semble tiré d’une des farse in un atto de son illustre contemporain. Il y a Joseph Weigl, le seul viennois de la bande, et Carlo Coccia qui avec « tu mi stringi », tiré de La donna selvaggia, se montre le plus attachant (Damien Colas relève non sans raison la similitude de l’air avec le rondo final de La Cenerentola). L’eroismo in amore de Fernando Paër offre à la Marcolini un rôle d’une ampleur déjà romantique, à en croire ce « io morro » qui pousse Ann Hallenberg aux limites de ses notes les plus basses. Si le nom de Giovanni Mayr nous est plus familier, l’opéra qui le représente – Il sacrifizio d’Ifigenia – est tout aussi obscur. L’écriture possède cependant une vigueur supérieure à celle des compositeurs précités. On y remarque l’intervention soliste d’un instrument (la flûte en l’occurrence), une caractéristique commune à la plupart des airs de l’époque qui nous vaut la version avec violoncelle du « Per lui che adoro », cerise sur le gâteau d’un enregistrement que tous les rossiniens, pour le moins, se doivent d’acquérir.
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Arias for Marietta Marcolini | Compositeurs Divers par Ann Hallenberg