Avec deux reprises à Garnier et Bastille (Capriccio et Les Contes d’Hoffmann), et deux expositions à Orsay et au Grand Palais, la rentrée 2012 s’annonçait carsénienne. Avec trois créations lyriques à Paris entre septembre et décembre (Alceste, Aida et Dialogues des carmélites), la rentrée 2013 sera… comment dire… pyesque ? Consacrer un ouvrage à Robert Carsen, comme l’a fait L’Avant-Scène Opéra l’été dernier (voir compte rendu), pouvait presque sembler facile : un homme de théâtre qui travaille depuis un quart de siècle dans le domaine lyrique, dont les nombreux spectacles connaissent la faveur du public et des directeurs de salle, à l’esthétique raffinée mais consensuelle. Choisir Olivier Py pour le deuxième volume de la série « Opéra et mise en scène » – dont on ne saurait trop se réjouir de voir qu’elle se poursuit – c’est s’attaquer à un gibier bien différent, à la fois moins copieux et plus ardu à digérer. Moins copieux parce que la première mise en scène lyrique de Py ne remonte qu’à 1999, avec un Freischütz à Nancy, ce qui a l’avantage de permettre l’analyse de chacune de ses productions opératiques, au lieu de devoir opérer une sélection, comme c’était le cas pour Carsen. La vidéographie s’avère nécessairement moins fournie aussi, et le lecteur n’aura peut-être eu accès qu’à quelques captations (le fameux Tristan de Genève, dont Christian Merlin nous dit hélas que le film ne saurait rendre justice à l’effet produit dans la salle, Les Contes d’Hoffmann ou Lulu, les trois seules vraiment disponibles jusqu’ici). Plus ardu à digérer parce que l’activité du Français va bien au-delà de la mise en scène d’opéra, alors que le travail du Canadien se réduit à peu près au seul théâtre musical. Olivier Py est aussi auteur dramatique, metteur en scène de théâtre parlé, acteur en scène et à l’écran, chanteur, théoricien, penseur et écrivain, ou comme il aime à le résumer en un mot, poète. Olivier Py n’a pas besoin d’un « dramaturge » pour élaborer un cadre intellectuel autour de ses productions : il en est seul responsable, même si l’identité visuelle de ses spectacles doit énormément à sa collaboration privilégiée avec son décorateur attitré, Pierre-André Weitz, qu’il appelle « mon alter ego à l’opéra ».
De ce fait, le volume dédié à Olivier Py acquiert d’emblée une plus forte charge philosophique, voire idéologique. Py tient un discours fort et complexe sur l’opéra et, plus généralement, sur le théâtre. Et il faut sur ce point saluer le travail réalisé par L’Avant-Scène Opéra, qui a su viser haut également pour les textes dans lesquels les dix-huit spectacles lyriques d’Olivier Py sont étudiés. On trouve ici d’authentiques plumes, qui rivalisent de virtuosité avec leur objet d’étude et qui dépassent de loin le simple degré descriptif de l’analyse. Timothée Picard ou Isabelle Moindrot, Alain Perroux ou Marie Gil proposent ainsi des lectures approfondies d’œuvres phares relues par Olivier Py, La Damnation de Faust ou Pelléas, Lulu ou Carmen. Car le répertoire « pyesque », d’abord très marqué par un certain romantisme allemand, s’est peu à peu élargi pour inclure Mozart (l’Idomeneo d’Aix en 2009 reste pour le moment une tentative isolée), quelques raretés mais aussi l’opéra italien (une Forza del destino à Cologne en 2012, le fameux Trouvère avec Jonas Kaufmann à Munich en ce moment, et bientôt Aida à Paris). Dans ce numéro, dont Chantal Cazaux est responsable comme pour le Robert Carsen, on retrouve tout d’abord le « Grand Entretien », suivi des « Témoignages » : Jean-Marie Blanchard, le premier à avoir confié un opéra à Olivier Py, Serge Dorny, pour qui il a monté Carmen et Claude à Lyon, Marc Minkowski, avec qui il a réalisé l’aventure de Pelléas à Moscou en 2007, Daniel Kawka et Suzanne Giraud, les maîtres d’œuvre du Vase de parfums en 2004, sans oublier Patricia Petibon, la Lulu que Py et Weitz rêvent désormais en Traviata, Mireille Delunsch, Valentine à Bruxelles et à Strasbourg, et Toby Spence, protagoniste du Rake’s Progress lors de sa création en 2008. Au « Petit précis de grammaire carsénienne » qu’avait conçu Alain Perroux l’an dernier répond cette fois une « Petite table alchimique des docteurs Py et Weitz » par le même Alain Perroux, le tout étant complété par les indispensables chronologie, vidéographie et bibliographie, et abondamment illustré par de superbes photographies en couleurs. Une fois de plus, L’Avant-Scène Opéra a réussi son coup, en collant à l’actualité tout en réalisant une somme fondamentale sur un des noms essentiels qui font aujourd’hui l’opéra. Olivier Py déplaît, il choque, et c’est tant mieux, car c’est grâce à des hommes comme lui que l’opéra reste un art vivant.