Composer un premier récital est tout un art, surtout pour les jeunes chanteurs qui ne sont pas encore associés à une œuvre particulière ou à un genre musical bien précis (le choix est plus simple pour les contre-ténors, quasiment condamnés au baroque). A un point de la carrière où un artiste n’a pas forcément une identité stylistique affirmée, à quoi bon vouloir rivaliser avec les plus grands en réenregistrant pour la énième fois les airs les plus rebattus du répertoire ? Mieux vaut, pour se faire remarquer, miser sur un programme différent, et dans un domaine où l’on jouit de certains avantages. Ainsi, pour les anglophones, sans doute est-il plus raisonnable de chanter dans son arbre généalogique. C’est ce qu’a parfaitement compris le ténor Kyle Bielfield, qui propose un éblouissant parcours dans le monde de la mélodie américaine, univers où tout ou presque reste à découvrir pour le mélomane français. Malgré les efforts d’une Dawn Upshaw ou d’une Susan Graham, et même si les plus informés de nos compatriotes sont allés voir au-delà de Bernstein et Barber pour s’aventurer chez Elliott Carter ou Ned Rorem, qui connaît en France les Beach, Cadman et autres Dougherty qui composent le programme de ce disque ? Aux côtés de tant de pièces jamais entendues de ce côté-ci de l’Atlantique, « Beautiful Dreamer », de Stephen Foster (1826-1864), ferait presque figure de tube.
Frais émoulu de la Juilliard School, Kyle Bielfield a déjà beaucoup chanté aux Etats-Unis, mais ne s’est encore, sauf erreur, jamais produit en Europe. Sa voix souple et très haut placée semble naturellement faite pour chanter Britten, avec des accents parfois presque trop suaves : attention à ne pas chanter trop sucré… En tout cas, rien de trop gras ni de trop salé dans ce menu, et l’on ne peut que saluer l’habileté avec laquelle il enchaîne les audaces harmoniques d’un Ned Rorem (« Snake ») au confort victorien d’un Charles Wakefield Cadman (« Sky Blue Water »), les notes émises en voix de tête dont il couronne plusieurs airs, ou l’élégance de ses partenaires, le pianiste australien Lachlan Glen ou le violoncelliste Michael Samis.
Kyle Bielfield s’offre même le luxe d’interpréter trois mélodies inspirées à trois compositeurs par le même poème de Robert Frost, « Stopping by the woods on a Snowy Evening », qui donne logiquement son titre au récital. Le grand poète américain est également représenté avec « The Rose Family » d’Elliott Carter. Samuel Barber (1910-1981), John Duke (1899-1984) et Ned Rorem (né en 1923, l’année où Frost publia son poème). S’il suffit à Barber de deux minutes pour brosser un gentille carte postale, John Duke s’accorde trois minutes trente et prend le temps d’installer une atmosphère plus envoûtante ; quant à Rorem, son paysage hivernal a le dépouillement d’un Erik Satie. La fin du disque s’encanaille délicieusement du côté du musical avec Carefree d’Irving Berlin (1938), avec un extrait de Peter Pan (1950) et un air tiré d’un musical jamais achevé du même Leonard Berstein.