A force de lire que Thomas Hampson n’est pas un baryton verdien, que son terrain d’expression principal reste le Lied, Mahler (qui l’occupe beaucoup cette année), l’opéra allemand ou que sais-je encore, on finit par oublier la force de conviction avec laquelle il a embrassé certains rôles du grand répertoire, notamment italien. En 2001, sur la scène de l’Opéra de Zurich, le baryton américain ajoutait Macbeth à la petite dizaine de rôles verdiens qu’il assume sur les scènes internationales. TDK avait sorti dès 2002 le DVD retraçant une de ces soirées et Arthaus remet ça dix ans plus tard.
Macbeth, qu’il chante régulièrement – Chicago en 2010 notamment -, va à merveille à Hampson, dont le physique imposant occupe largement la scène, réduite encore par les décors de la production. Vocalement, c’est une démonstration de beau chant intelligent, intériorisé et nuancé qu’il délivre, dès un subtil « Mi si affaccia un pugnal ? » à l’acte I. J’avoue n’avoir jamais entendu un « Pietà, rispetto, amore » chanté de la sorte et conclu piano, loin de tout débordement émotionnel, loin de toute tradition italianisante aussi. Enthousiasmant ! Le contraste est saisissant avec les scènes plus expressives où Macbeth occupe toute sa place de chef de guerre sombrant dans la folie, aigus bien timbrés à l’appui. Les gros plans de la vidéo donnent à suivre toutes les facettes du talent de cet immense artiste. La reprise du rôle, pour la première fois sur la scène du Met, en mars-avril 2012, est une excellente nouvelle.
L’œuvre, adaptée de Shakespeare par Francesco Maria Piave, ne peut évidemment pas souffrir d’un quelconque déséquilibre vocal et scénique au sein du couple royal. Paoletta Marrocu est à la hauteur. Soprano dramatique sarde, tout à fait inconnue en France ou presque alors que sa carrière l’a déjà conduite sur les plus grandes scènes du monde, elle exploite à merveille des moyens qui sortent du commun. Le timbre présente un mélange assez rare de félinité et de douceur. Les écarts de tessiture ne lui posent aucune difficulté et l’actrice est au niveau, avec une scène de la folie incarnée. Prestation de très haut niveau, à tous égards.
On n’en dira pas autant de tout le reste ! Certes, Roberto Scandiuzzi est un Banco honorable, au chant soigné ; certes encore Franz Welser-Möst donne une lecture classique et sans surprise de l’œuvre. Quant à Luis Lima, il détonne en représentant la plus mauvaise tradition du chant verdien, avec coups de gueule et duretés dans l’émission.
Le gros point noir reste la production hideuse (pour les costumes, on a sans doute vidé les caves de l’opéra de Zurich, sans aucune cohérence…) et une mise en scène horripilante. Evidemment, il y a, semble-t-il, une direction d’acteurs (de toutes les façons, avec Hampson et Marrocu…) et quelques idées. David Poutney réussit certains moments précis, comme les apparitions de l’acte III ou encore l’assaut final. La présence d’un cube central, entouré d’un arc de cercle surélevé formant amphithéâtre, a déjà été vue cent fois, y compris dans cet opéra. Quant à la domination sexuelle de Lady sur son mari, elle est évoquée avec de grosses ficelles (la soprano, dont le décolleté avantageux est souligné, finit par chevaucher le baryton à la fin de la « Luce langue ») mais furtivement, comme si l’idée finalement n’intéressait pas Poutney. Surtout, les deux premiers actes multiplient les images grotesques ; les sorcières, en robe de chambre, peignoir ou imperméable, sont affublées d’accessoires improbables, calculatrice, cerceau de gym, lampe ou sac à main… La machine à écrire verte qui conclut l’ouvrage au centre de la scène est du même tonneau. Tout cela agace… et semble n’avoir qu’un but : inviter le spectateur à penser qu’il est vraiment stupide de ne pas comprendre la profondeur de l’approche du metteur en scène.
Ajoutons encore que, à plusieurs moments, on a l’impression au visionnage du DVD d’un décalage entre le son et l’image qui fait presque soupçonner une post-synchronisation curieuse.
Ce témoignage est donc précieux pour le duo principal et seulement pour lui, duo qui vient s’inscrire très haut dans la vidéographie limitée de l’œuvre. Dans un genre évidemment différent, on préfèrera tout de même le film de Claude d’Anna avec Leo Nucci et Shirley Verrett.
Jean-Philippe Thiellay