La gloire de Puccini comme compositeur d’opéras a fait oublier ses racines familiales. Depuis 1739, ce sont pas moins de cinq générations de ses aïeux qui se sont succédé comme maître de chapelle à la cathédrale de Lucca. C’est dire à quel point le répertoire sacré fut le terrain d’expression naturel du jeune Puccini, jusqu’à ce qu’une représentation de Aïda à Pise, que le jeune homme était allé voir à pied, décide de sa vocation lyrique. On n’ira pas jusqu’à prétendre que cette Messa di Gloria d’un homme de 22 ans soit à mettre sur le même pied que les chefs-d’oeuvre ultérieurs, mais elle est une synthèse des plus heureuses entre la tradition liturgique italienne et des élans lyriques qui révèlent déjà un tempérament éminemment théâtral. On trouvera ici des fugues de la plus belle eau, des pages où le recueillement n’est pas feint, et des solos de ténor à se damner d’émotion. L’invention mélodique est particulièrement soutenue, et ne vous étonnez pas de fredonner plus d’un des morceaux sous votre douche matinale. L’ostinato qui accompagne les différentes parties du Credo est un bel exemple de ce don, qui ne fera que se confirmer.
L’oeuvre dut attendre 1951 pour faire l’objet d’une publication en bonne et due forme, et elle est restée depuis le parent pauvre de la discographie puccinienne. Les références étaient signées jusqu’à présent Claudio Scimone (Erato) et Antonio Pappano (Warner). Cette nouvelle parution pourrait toutefois remettre en cause cette domination. Sans atteindre aux mêmes sommets que dans son récent Stabat Mater de Rossini, Gustavo Gimeno se montre inspiré, et sa battue souple et naturelle montre qu’il croit dans l’oeuvre ; son enthousiasme est communicatif. Depuis 2015 et sa nomination, Gimeno n’est pas encore parvenu à donner une vraie personnalité sonore à l’orchestre philharmonique de Luxembourg, mais l’ensemble offre un niveau de professionnalisme appréciable, et les quelques maladresses orchestrales du jeune compositeur sont négociées avec beaucoup de finesse. Le tableau est globalement identique pour le choeur, l‘Orfeo Catala, qui se produit avec des phalanges de plus en plus prestigieuses (jusqu’au Philharmonique de Berlin), et dont il faut saluer le chant probe et intègre. Aucune hésitation dans les moments les plus contrapuntiques, de la douceur ou de la force selon ce qui est nécessaire, mais on est encore loin d’une vraie personnalité chorale type Collegium Vocale ou RIAS-Kammerchor.
Au contraire, Charles Castronovo a de la personnalité à revendre. Son style opératique fait clairement pencher la balance vers le drame, au détriment parfois du caractère sacré de la partition. Rarement le « Gratias agimus » aura ressemblé aussi fort au « Recondita armonia » de Tosca. Alors bien sûr, tout cela a fière allure, et chacune des interventions du ténor est marquante, frappée du sceau de l’héroïsme et de la sincérité. Mais le timbre montre déjà des signes d’usure, bien au-delà de ce qu’on pourrait attendre d’un chanteur de 47 ans. Et ce vibrato si fièrement exhibé, lancé à la figure de l’auditeur, est-il à sa place lorsqu’il faut montrer la créature qui rend hommage à son créateur ? Le doute est permis, et Roberto Alagna, tout extraverti soit-il, parvenait à trouver un ton orant plus en situation. Il n’y a aucune réserve par contre en ce qui concerne la prestation de Ludovic Tézier. L’équilibre parfait entre présence et effacement, la finesse de la diction, la tenue de la ligne, l’émotion contenue, … Un modèle du genre, qui fait regretter que ses interventions ne soient pas plus nombreuses.
Les trois morceaux orchestraux complètent logiquement le programme, puisqu’ils datent aussi des années d’apprentissage de Puccini. Si le scherzo pour cordes et l’élégie Crisantemi sont rendus avec beaucoup de naturel, le Capriccio sinfonico demanderait, pour transcender ses faiblesses, plus de créativité que ne peuvent en offrir les valeureux pupitres de l’Orchestre philharmonique de Luxembourg.