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PUCCINI, Tosca

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CD
9 avril 2025
Comme une tragédie grecque

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca, opéra en trois actes, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce de Victorien Sardou, créé à Rome le 14 janvier 1900

Détails

Eleonora Buratto
Floria Tosca

Jonathan Tetelman
Mario Cavaradossi

Ludovic Tézier
Barone Vitello Scarpia

Giorgi Manoshvili
Cesare Angelotti

Davide Giangregorio
Il sagrestano

Nicolo Ceriani
Sciarrone

Matto Macchioni
Spoletta

 

Chœur, chœur d’enfant et orchestre symphonique de l’Académie nationale de Sainte Cécile

Direction musicale
Daniel Harding

 

2 CD Deutsche Grammophon, 486 6997, enregistrés à Rome en octobre 2024
Durée : 1h55′

 

 

 

 

C’est peu dire que cet enregistrement était attendu par les mélomanes. Qu’on en juge : première intégrale de Tosca parue chez DG depuis 1992 et celle de Giuseppe Sinopoli, centenaire de la mort du compositeur, débuts de Daniel Harding comme directeur musical à Rome, premier témoignage enregistré du Scarpia de Ludovic Tézier, un ténor, Jonathan Tetelman, que certains décrivent comme le nouveau Pavarotti, une Eleonora Buratto qui compte déjà de nombreuses réussites au disque … Les bonnes fées semblent s’être penchées avec générosité sur cet album. Les impatients ne seront pas déçus, à condition qu’ils acceptent de revoir leur conception habituelle de l’œuvre.

Daniel Harding est un artiste à l’intelligence remarquable. A ce titre, il sait qu’enregistrer en 2025 une pièce aussi bien servie par le disque requiert qu’on apporte un éclairage nouveau. Son choix est fait : loin du mélodrame habituel, sa Tosca sera une tragédie gravée dans le marbre. Dès les premiers accords, nous sommes fixés : alors que la plupart des chefs font «tout pèter» lors de cette exposition, Harding tient ses chevaux en bride, et la puissance qu’on y perçoit est comme rentrée, toute intérieure, avec une Accademia di Santa Cecilia qui va dès ce moment sonner mate, pleine, granitique. Sur des tempi allants et réguliers, Harding va narrer l’opéra comme s’il s’agissait d’un drame signé Sophocle ou Euripide, avec une concentration et un refus de l’excès qui surprennent, tant cela va à l’encontre de ce que nous avons l’habitude d’entendre. L’orchestre n’est pourtant pas avare en couleurs, mais Harding pratique une sorte d’homéopathie de la beauté, qui consiste à ne laisser la virtuosité de ses musiciens s’épancher que dans de brefs instants (les cors au moment où Tosca quitte la scène au I, le prélude du III, la clarinette du «E lucevan le stelle»), ce qui a pour effet de créer une sorte d’exaspération du désir chez l’auditeur. Signe de cette rigueur : le chef ne s’arrête pas aux endroits habituels, par exemple à la fin de «Vissi d’arte», refusant d’interrompre le flot d’une musique qu’il prend autant au sérieux que la mélodie infinie de Wagner. Tout cela est fait avec adresse, sensibilité et cohérence, et est servi par une prise de son qui a justement à globaliser l’orchestre plutôt qu’à le dissoudre en une multitude de fragments.

Le second miracle de ce coffret est que presque toute la distribution adhère à ce parti pris de noblesse marmoréenne. Au premier rang, le Scarpia de Ludovic Tézier. Il faut dire que le timbre naturellement châtié et le style habituel du baryton le prédisposaient à rentrer dans ce moule. Foin des sadiques qui poussent la voix et aboyent : le baron de Tézier est un homme délicieusement bien élevé, qui a probablement eu un passé de séducteur sans avoir recours aux artifices de l’argent et de la coercition. Le rôle est ici non seulement chanté, mais ciselé avec un raffinement inouï. L’effet n’en est que plus terrifiant : les «piu forte, piu forte» de la scène de torture au II ont d’autant plus de poids qu’ils sont galbés avec soin. Même sa mort évite le grand guignol habituel, avec le minimum de soupirs et de hurlements. Un Scarpia plus aristocrate que jamais, et qui rentrera sans doute dans l’histoire du rôle.

Eleonora Buratto est elle aussi tout en sobriété. Loin des Tosca expressionnistes, elle soigne avant tout la ligne et la musicalité. Et elle n’a pas pour rien un passé de belcantiste. Encore fin 2022, elle impressionnait dans la Messe solennelle de Rossini gravée elle aussi à Rome, ne faisant qu’une bouchée des vocalises et autres roulades. Passée vers le répertoire plus lyrique, elle conserve toutes les qualités d’un chant sain, soigné, qui sait colorer la note (l’aigu dans «Vissi d’arte») et tracer de longues phrases qui disent l’ardeur amoureuse de Floria mieux que les hoquets de certaines sopranos en fin de carrière. Seule minuscule faiblesse : le timbre est beau, mais pas immédiatement reconnaissable, en tous cas peu mémorable. Mais c’est là affaire de goût personnel.

Signe que nous sommes face à un grand enregistrement d’opéra : tous les rôles secondaires sont soudés dans un même esprit. Le chef communique à chaque exécutant sa conception ultra sérieuse de l’œuvre, et tout histrionisme est banni. L’Angelotti de Giorgi Manoshvili déploie un timbre de bronze à la noblesse infinie, et son fugitif est portraituré avec beaucoup de finesse. On regrette que le rôle soit si court. Le sacristain de Davide Giangregorio est une jouvence après tant de vieux barbons à bout de voix. La façon dont il donne la réplique à Cavaradossi dans « Recondita armonia » force le respect : enfin un partenaire à part entière, qui tient ses notes sans les brailler et qui, du coup, rééquilibre l’air et montre sa filiation avec les « arie con pertichini » de la première moitié du 19ème siècle. Il n’est jusqu’à Spoletta et Sciarrone (Matteo Macchioni et Nicolo Ceriani) qui chantent leur partie avec une dignité exemplaire, alors qu’une mauvaise tradition en fait des sbires venimeux. Le souci du détail va jusqu’à la conception du packaging : avec son grand cartouche jaune et sa vue du chateau Saint-Ange, la couverture fleure bon les années 70 et évoque les enregistrements de Karl Böhm ou d’Eugen Jochum.

Reste le cas Jonathan Tetelman. Il semble venir d’une autre planète. La planète où les ténors dardent leurs aigus comme autant de flèches, se permettant même de respirer juste avant. Son Cavaradossi, directement inspiré de celui de Pavarotti, lance ses notes tenues avec autant d’aisance que d’impudeur. Comme un cheval sauvage qui refuse le licol, il plane au-dessus de l’orchestre impavide de Daniel Harding avec orgueil. L’homogénéité de l’enregistrement en souffre, mais on comprend le chef d’avoir renoncé à vouloir dompter un tel phénomène vocal. Pour démodés qu’ils soient, les « Vittoria ! Vittoria » et les ports de voix de l’acte III sont irrésisitibles. Au total, une Tosca un peu composite, mais pour le travail d’orchestre de Daniel Harding, l’incarnation majeure de Ludovic Tézier et la probité d’Eleonora Buratto, l’achat s’impose naturellement.

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❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
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Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca, opéra en trois actes, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce de Victorien Sardou, créé à Rome le 14 janvier 1900

Détails

Eleonora Buratto
Floria Tosca

Jonathan Tetelman
Mario Cavaradossi

Ludovic Tézier
Barone Vitello Scarpia

Giorgi Manoshvili
Cesare Angelotti

Davide Giangregorio
Il sagrestano

Nicolo Ceriani
Sciarrone

Matto Macchioni
Spoletta

 

Chœur, chœur d’enfant et orchestre symphonique de l’Académie nationale de Sainte Cécile

Direction musicale
Daniel Harding

 

2 CD Deutsche Grammophon, 486 6997, enregistrés à Rome en octobre 2024
Durée : 1h55′

 

 

 

 

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