L’idée de proposer un enregistrement de Suor Angelica, volet central du Trittico, indépendamment des deux autres opéras peut s’avérer singulière. Orfeo rend en réalité justice à une œuvre critiquée dès sa création sous prétexte que « la passion chez une religieuse n’est pas une chose que le public aime voir ». L’opéra fut aussitôt retiré de l’affiche au grand dam de Puccini qui l’affectionnait particulièrement : « voir le meilleur de mes trois opéras laissé de côté me rend vraiment malheureux ». Si l’intrigue ici ne repose pas sur une succession d’actions, elle jaillit progressivement de l’orchestre laissant le soin aux protagonistes de puiser au plus profond de leurs émotions, exigence qui s’impose à eux afin que l’œuvre garde toute sa force. Que cette condition ne soit pas remplie et l’on passe à côté des intentions du compositeur. C’est malheureusement ce qui se produit dans cet enregistrement.
Kristine Opolais possède un large répertoire avec de nombreux rôles pucciniens à son actif. Néanmoins, on peut se demander si elle est en mesure d’interpréter une partition qui demande moins de puissance que de subtilité, et exige même un certain renoncement. Dotée d’une voix ample avec des aigus affirmés, elle se démarque dès le début d’autres chanteuses qui réussissent à créer l’environnement chaleureux du couvent de manière homogène. Un sentiment renforcé par l’astringence du timbre ainsi qu’un ton relativement détaché. Quant à l’interprétation solide de « Senza Mamma », considéré comme l’un des plus belles arias de Puccini qui désirait « faire pleurer les gens », elle manque son effet, dépourvue de réelles intentions dramatiques. Face à cette Suor Angelica en mal d’émotions, Lioba Braun est une zia Principessa convaincante. La solennité et la prestance, la clarté de la diction rendent bien le poids des mots. Il lui suffirait de foncer davantage la couleur dans « Nel silenzio » pour que le personnage soit campé dans toute son autorité. Parmi l’assemblée de religieuses, mentionnons Mojca Erdmann proche de l’idéal en Suor Genovieffa dont les sons cristallins renforcent le caractère lumineux du rôle et Nadezhda Serdyuk qui donne, avec rondeur, toute la profondeur requise à la Suora Zelatrice.
L’énergie d’Andris Nelsons à la tête de l’Orchestre symphonique de Cologne atténue l’austérité du cadre religieux. Le rythme assez soutenu révèle une partition pleine de vie voire d’entrain au risque parfois de manquer de respiration. Néanmoins, le chef maîtrise son art et s’applique à mettre en valeur chaque instrument. Une exécution précise et des transitions extrêmement soignées permettent d’apprécier la théâtralité de la musique sans tomber dans l’excès. En effet, Puccini voulait amener le spectateur – et l’auditeur – à une réflexion plutôt que lui imposer une vision manichéenne du bien contre le mal. Sur ce point au moins, l’objectif est atteint.