Opera Rara comble un vide de première importance avec une flamboyante Maria di Rohan. Si elle accuse quelques limites vocales, cette proposition s’avère passionnante en termes de révélations historiques, musicales et dramatiques dans la production du compositeur bergamasque. A l’instar de ses consœurs Maria di Rudenz ou Maria Padilla, Maria di Rohan, nous est parvenue, certes grâce à l’investissement de quelques belles natures, mais malheureusement sous un jour incomplet voire balafré. Opera Rara lui rend toute sa force narrative.
Entre la version de Vienne hautement dramatique et celle de Paris plus hédoniste et fleurie, Opera Rara a dû opérer un choix. A juste titre, elle s’appuie sur la récente édition critique de la version viennoise. Choix originel donc, mais au-delà, la vision qui refléte le mieux les aspirations puissantes d’une composition rendant à notre sens le vrai visage de Donizetti. On ressent malheureusement un goût de trop peu dans les appendices que la firme anglaise n’exploite pas exhaustivement. Occasion manquée qui, en ne nous donnant pas à entendre l’intégralité des pages parisiennes, nous prive de la mise en miroir de deux œuvres différentes mais au combien complémentaires. Qu’importe ! La version de Vienne est un véritable concentré de théâtre dramatique, servie par une thématique inspirée de première beauté mélodique et harmonique. Quand on imagine, que la trame fut jetée sur papier en huit jours, cela laisse pantois !
Le premier élément frappant est le relief immédiat insufflé par Mark Elder grâce à l’Orchestra of the Age of Enlightenment. Remarquable simplement. On y entend la force créatrice annonçant les œuvres d’un jeune Verdi. Le chef possède cette capacité à jeter ce pont vers l’avant. Arches du phrasé, progression judicieuse rythmique, couleurs… Bref, l’évidence d’un musicien.
Comprimari et seconds plans forment le ciment d’une équipe homogène, dont les timbres sont judicieusement attribués aux différentes psychologies. Loïc Félix tire son épingle du jeu, une fois encore, parvenant à exister au sein d’un rôle pourtant peu flatteur. Dans les appendices, il partage ses chausses avec une Enkelejda Shkosa, au vibrato encombrant. Plus que de belles notes, la chanteuse semble surtout à court d’imagination dans ce énième emploi de mezzo en pantalons dont le Romantisme italien était friand.
José Bros (Riccardo di Chalais) a surtout le mérite de poursuivre imperturbable la fréquentation de ce répertoire romantique où il n’y a guère de postulants. Les mérites et les absences du ténor sont bien connus. Dans une main, une bonne connaissance des codes requis dont la maîtrise de certains (récits, conscience d’un certain phrasé). Dans l’autre, des nasalités s’ajoutant à un timbre peu typé à la base et une relation à l’aigu de plus en plus aléatoire pour ne pas dire débraillée. La globalité de la prestation est plus qu’honnête si on jette un voile sur la cabalette « E tu, se cado, esanime » clôturant l’exigeante scène du II « Dorme un sonno affannoso ». Bros existe pourtant, son Comte est crédible et communicatif.
Cette Maria di Rohan aurait pu s’appeler Enrico di Chevreuse, tant la version chosie met en valeur un superbe rôle pour un baryton d’envergure. Le génial créateur Giorgio Ronconi créa une demi-douzaine de premiers plans pour Donizetti et fut le premier Nabucco, c’est dire le gabarit ! Le Chevreuse de Christopher Purves force le respect. Indisposé aux moments des prises de son, on ressent suivant les pages, une certaine limitation dans les extrêmes (mais le rôle est d’une insolence insoutenable !). S’il avait pu maîtriser quelques effets histrioniques (pis-aller habituel pour donner un peu de dramatisme), sa prestation aurait été pleinement satisfaisante. Les échanges avec Maria le trouvent à son meilleur dans son inspiration vocale et psychologique.
Première incursion chez Rara pour Krassimira Stoyanova à qui incombe la lourde tâche d’incarner le rôle titre. On ne peut dissimuler une déconvenue quant à la prise de son de cette voix assez riche dans notre souvenir et ici, présentée sous un jour plutôt monochrome. Sincère, la soprano jette toutes ses forces dans l’aventure. Ses repères s’appellent Violetta et surtout, Luisa Miller qu’elle a endossé avec un succès mérité. Dans la vision plus centrale de cette version, elle domine la tessiture et même certains écueils, alternant souvent au sein d’une même scène, le meilleur (l’entrée récit et cantabile du « Rival ! …Cupa fatal mestizia ») et le plus convenu dans les rares pages de pure exposition virtuose (« Ben fu il giorno »). Dans ces conditions, on comprend que la cantatrice décline l’invitation à prester dans les appendices, les pages coloratures du « Benigno il ciel arridere » ou la brève mais fulgurante cabalette finale « Onta eterna, io non t’amai ». Pour autant, dans la version qui nous occupe, la soprano est une Maria de bonne facture. On aurait peut-être souhaité que l’extériorisation de l’épouse meurtrie n’omette pas la dignité de sa condition, à l’égal de cette œuvre méconnue : celle d’une dame de haut rang.