Surnommée « la diva des townships », Pumeza Matshikiza avait enregistré en 2015 un premier CD intitulé « Voice of Hope » consacré essentiellement aux chansons traditionnelles de son pays, dans lequel figuraient également quatre airs d’opéra. Dans son nouvel album, baptisé simplement « Arias », l’opéra tient cette fois une place prépondérante à côté de quelques mélodies. Le programme, pour le moins éclectique, ne brille pas par son originalité : il aligne des « tubes » de musiciens d’horizons et de styles fort divers, ayant un seul point commun : la plupart d’entre eux sont déjà au répertoire de la soprano sud-africaine ou en passe de l’être. L’ensemble, qui couvre près de trois siècles de musique, constitue de fait une carte de visite qui permet de se faire une idée assez précise des possibilités de la dernière révélation de Decca.
La voix, essentiellement lyrique, ne manque pas de qualités. Homogène sur toute la tessiture et riche en harmoniques, elle possède des couleurs ambrées de toute beauté. Le medium est solide et l’aigu brillant. Un léger vibrato, parfaitement maîtrisé ajoute au charme de ce timbre capiteux. Si l’on devait exprimer une réserve, elle concernerait la dynamique qui semble pour le moment assez restreinte comme en témoigne une ligne chant, certes élégante, mais que l’on aimerait plus nuancée, notamment dans la romance de Rusalka.
Le disque s’ouvre sur des airs de Puccini et Catalani, deux compositeurs qui conviennent parfaitement aux moyens actuels de la cantatrice : sa Mimi touchante et juvénile s’exprime avec une simplicité désarmante, une émotion contenue, affleure tout au long du grand air de Suor Angelica et et le désespoir de Liù au dernier acte de Turandot, est incarné sans pathos excessif. Enfin, le célèbre « Ebben ne andrò lontana », extrait de la Wally, tout empreint de nostalgie, est parmi les plus convaincants de la discographie. La prononciation de l’italien est impeccable et tout à fait intelligible. En revanche, le français de la chanteuse est encore perfectible, on n’en saisit au mieux qu’un mot sur deux. Si dans l’air de Conception « Ah, la pitoyable aventure », tiré de L’Heure espagnole de Ravel le tempérament et la sensualité dont fait preuve la soprano compense ce handicap, les mélodies de Fauré et de Hahn en pâtissent d’autant plus que l’orchestration de « Après un rêve » par le compositeur viennois Michael Rot n’est pas des plus heureuses. Plus réussie est celle de « Si tu le voulais » de Tosti, l’une des mélodies favorites de Rosa Ponselle, d’après le livret qui accompagne le CD. C’est finalement la habanera de Montsalvage, mise en parallèle avec la célèbre chanson « La Paloma » qui, dans ce bouquet de mélodies, s’avère la plus idiomatique.
Le disque s’achève avec des œuvres des dix-sept et dix-huitième siècles parmi lesquelles on trouve la seule rareté du programme, le très joli « Lungi dal caro bene » tiré de Le gelosie villane de Sarti, un compositeur tombé dans l’oubli dont Mozart cite un extrait de son opéra Fra i due litiganti dans la scène finale de Don Giovanni. De Mozart, justement Pumeza Matshikiza interprète l’air de Suzanne au dernier acte des Noces de Figaro, l’un des premiers rôles qu’elle a chantés lors de son entrée dans la troupe de l’opéra de Stuttgart. Son expérience de la scène lui permet de donner de cette page rebattue une interprétation tout à fait épatante. Voilà une Suzanne fraîche et mutine qui capte durablement l’attention. Pas vraiment baroque l’Eurydice de Gluck n’en est pas moins remarquable tant la chanteuse parvient à alterner avec brio véhémence et déploration. Le disque s’achève en beauté avec un splendide « When I am laid » de Purcell bouleversant de splendeur vocale et d’intensité dramatique.
A la tête de l’Aarhus Symfoniorkester, le chef suédois Tobias Ringborg propose une direction alerte et contrastée et parvient à trouver pour chacune des pages qu’il aborde le style adéquat, ce qui n’est pas un mince compliment.