Purcell a beaucoup écrit pour la voix : plus de 250 airs, dont environ 150 extraits des masques et musiques de scène. Nombre d’entre eux furent publiés du vivant du compositeur. L’édition posthume de l’Orpheus Britannicus (3 volumes entre 1698 et 1702) constitue la source la plus fréquemment choisie.
Aussi, parmi les trésors du fonds du label Arcana, signalons cette production, que l’on retrouve avec bonheur. En effet, les «Ayres and songs », pratiquement inconnus avant qu’Alfred Deller, puis Emma Kirkby, les révèlent au grand public, sont le plus souvent illustrés en récital. Font exception, outre cette anthologie et celle d’Agnès Mellon, les enregistrements plus récents de deux illustres contre-ténors : Gérard Lesne (2003), et Andreas Scholl (2010), tous deux accompagnés par des ensembles plus riches, plus colorés, et également intitulés « O Solitude », sans oublier l’intégrale britannique des King’s Singers.
Or, en 1992, sortait cet album, à peu près au même moment où Agnès Mellon, accompagnée au clavecin par Christophe Rousset et à la basse de viole par Wieland Kuijken, nous proposait le même nombre de pièces (21), une bonne partie d’entre elles étant communes aux deux enregistrements. En dehors de la réalisation de l’accompagnement, ici confié à l‘archiluth de Nigel North, avec Sarah Cunningham à la basse de viole, l’approche en est voisine. Les deux cantatrices, pour être passées sous l’aile de William Christie dès le début des années 80, n’en ont pas moins gardé leur personnalité. Evidemment, la cantatrice américaine est naturellement plus familière des textes anglo-saxons que l’épouse de Dominique Visse. La voix de Jill Feldman est agile, égale dans tous les registres, avec des graves bien timbrés ; le sens dramatique, la sûreté du style et le naturel de l’ornementation plaident en faveur du présent enregistrement, même si les séductions de son concurrent sont réelles. D’autant que Nigel North paraît inégalable dans ce répertoire, qu’il connaît mieux que quiconque. Le luth correspond idéalement au caractère intime, à la destination de ces pièces. Le « From rosie bowe’rs » de Don Quixote, complexe, contrasté à souhait est magnifiquement servi. Le choix des airs s’avère aussi éclectique que cohérent : les deux tiers sont tirés d’ouvrages connus, réduits pour voix et basse continue. Or, par exemple, chacun a en tête « Fairest Isle », qui conclut King Arthur. La version originale est ample, puissante et sa réduction en gomme quelque peu le caractère, ce qui légitime les partis pris instrumentaux de nos contre-ténors. Selon ses goûts, on choisira la version la plus appropriée.
Le second CD nous vaut l’intégrale de la musique pour orgue de Purcell, peu abondante (six pièces), alternant avec des pièces sacrées (anthems, songs, odes et welcome songs), de caractère méditatif, où nous retrouvons Jill Feldman, avec l’excellent Davitt Moroney, référence dans ce répertoire. Il joue un orgue breton contemporain de Purcell. Une surprise : le célèbre « O solitude, my sweetest choice » prend place dans les œuvres sacrées, avec un texte de Katherine Philips, parfaitement adapté à son caractère.
Les 36 pages de la brochure d’accompagnement, en anglais et en français, sont un modèle du genre (Davitt Moroney y éclaire le second CD). Pour qui hésite à acquérir la volumineuse intégrale de Robert King (Hyperion, 2014), cet enregistrement demeure un excellent choix.