Une minute dix secondes. C’est la durée des applaudissements qui saluent l’aria di sortita d’Isabella dans cette représentation de L’Italiana in Algeri captée un soir de mai 1975 à La Scala. Une minute dix secondes : le chiffre n’est pas si éloquent mais quand on entend au disque l’enthousiasme des clameurs, il impressionne. Il faut dire que dans cette fameuse cavatine (« Cruda sorte ! ») suivie comme la convention l’exigeait d’une cabalette ébouriffante (« Già so per pratica »), Marylin Horne est irrésistible. Et l’impression se confirme au fil de la soirée. Prise sur le vif, la mezzo-soprano américaine parait encore plus incontestable qu’elle ne le sera cinq ans après en studio avec Claudio Scimone. Le matériau vocal est identique, la technique reste irréprochable mais la scène décuple l’énergie de cette Isabella boulimique. Evidemment, l’approche demeure roturière ; on connaît l’abattage et les nasalités posées comme des coudes sur une table qui donnent à ce chant une gouaille, acceptable cependant dans le contexte d’un opera buffa qui ne veut rien que divertir. Cette Italienne n’a pas grandi dans un palazzo à Venise ou Rome mais dans les faubourgs de Naples où le matin, à la criée, elle a développé son formidable instrument.
Il parait que Claudio Abbado n’aimait pas sa façon tubée de vocaliser. Pourtant à entendre l’une chanter, l’autre diriger, on ne perçoit ni tension, ni divergence. Ces deux là font la paire et il va sans dire que l’autre intérêt de ce coffret réside en une direction d’orchestre idéale, égale en dynamique et en subtilité à ce que le chef italien offrait en 1987 aux micros de DG (Agnès Baltsa chantait Isabella et Ruggero Raimondi Mustafà).
Malheureusement comme souvent en ces années de « pré-renaissance rossinienne », c’est du côté des interprètes masculins que la distribution traîne la patte. Enzo Dara est l’exception qui s’emploie à confirmer la règle. Tout en jouant les dindons de la farce, son Taddeo est enfin autre chose qu’un simple crétin. Si à l’intelligence de la composition, on ajoute une voix dans l’épanouissement de la maturité (le baryton avait alors 37 ans), on comprend combien le résultat est réjouissant.
De Luigi Alva, tenorino propulsé à l’époque dans ce répertoire faute de mieux, on retrouve les qualités – un timbre phonogénique, une certaine souplesse – et les défauts – un manque d’ampleur, un aigu pincé et surtout une inadéquation stylistique au chant rossinien. Le ténor est ici un comparse.
On pourrait aussi se montrer sévère avec le Mustafà de Paolo Montarsolo. Ses premiers mots, les majestueux « Delle donne l’arroganza », nous ramènent en des temps moroses où Samuel Ramey n’avait pas encore réinventé la manière pour une basse de chanter Rossini. Cela s’arrange par la suite car Montarsolo ne manque ni d’humour, ni de panache. Et la bonne humeur aidant, ce Mustafà en deçà ne discrédite finalement pas une Italiana qui apparaît comme une des plus vivantes de la discographie.