2013 fut l’année du double centenaire Verdi-Wagner, mais aussi l’année où Maria Callas aurait soufflé ses 90 bougies. L’occasion se présentait donc de rendre hommage à l’artiste et à l’un des compositeurs, sinon les deux (cela dit, un coffret Callas-Wagner aurait également été envisageable, même si moins abondant). Pour les enregistrements de studio, EMI a fait le nécessaire, mais pour le live, Forlane a eu l’idée de réunir un témoignage de chacun des opéras interprétés en scène par la soprano ; hélas, aucune trace n’a été préservée de ses prestations dans Don Carlos et dans La Force du destin. Cela laisse quand même huit œuvres, captées entre 1949 et 1953, plus le Ballo in maschera de 1957, autrement dit sept enregistrements pirates d’avant le divorce avec Meneghini et surtout avant le fameux régime. Car si le coffret s’orne d’un portrait de la Callas d’après, la Callas métamorphosée en Audrey Hepburn, le son, lui, date de l’époque où son opulence vocale n’avait d’égale que son opulence physique. Bien sûr, malgré le travail effectué sur les bandes, le son est ce qu’il est, parfois flou ou fantomatique : dans Nabucco ou dans Macbeth, il faut accepter une bonne dose de crachouillis et grésillements, de saturations, de distorsions qui donnent l’impression que l’orchestre joue complètement faux. Et même si, dans son livret d’accompagnement très documenté, Roland Mancini se montre assez dur envers les versions de studio, il n’en reste pas moins que les chanteurs et les musiciens qu’on entend ici ne sont pas tous à la hauteur de leur illustre partenaire, même si Callas y trouve aussi des collègues plus qu’adéquats.
Ce coffret constitue ainsi une éclatante revanche pour Giulietta Simionato, très digne en Azucena, Amneris ou Ulrica, rôles que Walter Legge préféra systématiquement confier à Fedora Barbieri. On entend en Duc et en Alfredo un Giuseppe di Stefano dans tout l’éclat d’une jeunesse encore intacte – il bisse « La donna è mobile » – mais Riccardo le pousse davantage vers ses limites. Le ténor américain Kurt Baum, ici Manrico et Radames, a certes pour lui la vaillance, des aigus longuement tenus, mais le timbre manque de jeunesse et d’ardeur, les personnages restent désespérément prosaïques. Parmi les barytons, Leonard Warren, apparemment incommodé par l’altitude de Mexico, déçoit en Luna qui pourrait être le grand-père du Trouvère et non son frère. Ettore Bastianini est un superbe Renato, mais Piero Campolonghi abuse un peu des sanglots en Germont ; dommage qu’en Rigoletto, son Sparafucile n’ait pas la voix plus grave que lui, car on confond les deux personnages lorsqu’il sont ensemble. Quant aux orchestres, ils varient du meilleur au pire : on trouvera ici les plus grands chefs (Erich Kleiber pour Vespri, Victor De Sabata pour Macbeth) et d’autres moins glorieux. Le nadir instrumental est atteint à Mexico : l’orchestre cafouille souvent, et s’efforce un peu trop vigoureusement d’imiter un orphéon municipal au premier acte de La Traviata. Dans Le Trouvère, les chœurs sont approximatifs, brouillons et nasillards, dans Rigoletto, ils n’en font qu’à leur tête, rendez-vous au point d’orgue. Même Maddalena et son frère sont incapables de suivre le rythme d’enfer imprimé à la scène de l’orage par Umberto Mugnai. Et l’on entend le souffleur presque mieux que les chanteurs.
Pourtant, malgré les décalages, les inévitables coupures et les cabalettes qui passent à la trappe, ces enregistrements palpitent d’une vie qu’on cherchait vainement dans les studios. On en jugera par les passions que déclenche Nabucco chez les spectateurs napolitains en 1949 : le « Va pensiero », couvert à la fin par de soudaines acclamations et des « Viva l’Italia », doit être bissé. Et Callas est survitaminée (sauf peut-être dans Aida, qui l’inspirait moins), dardant des suraigus éclatants et interminables, ajoutant de longues notes tenues là où ne les attend pas toujours. Vous vous demandez pourquoi l’on donne si rarement Les Vêpres siciliennes de nos jours ? Ne cherchez plus, la réponse est ici : parce qu’il faut pour interpréter le rôle d’Hélène une soprano phénoménale, telle qu’il n’en existe plus guère. Précision dans la vocalise et ardeur quasi wagnérienne, Callas avait tout cela. Outre les huit intégrales, le coffret Forlane offre aussi toutes sortes de bonus précieux, qui permettent de comparer celle qui s’appelait encore Maria Meneghini-Callas à elle-même après son divorce : quelle folie, par exemple, d’avoir osé l’air d’Abigaille en 1962, air qui qui souligne certes une virtuosité encore bien présente, mais met à jour certaines difficultés dans l’aigu, parfois réduit à une trame. « O don fatale », également en 1962, est affligé d’un hululement pénible dans l’aigu, mais qui aura jamais articulé ainsi « Un dì mi resta » ? « Tu che la vanità », capté en 1959, révèle en revanche de somptueux graves. Et quelques interviews permettent aussi d’entendre l’artiste répondre aux journalistes qu’après des saisons aussi chargées, elle aspirait à une seule chose : Riposo.