C’est peut-être moins pour sa valeur musicale que par attachement envers un enfant du pays que le théâtre d’Erfurt a voulu monter l’opéra écrit d’après de La Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist. De cette pièce crée en 1810 à Vienne, Carl Reinthaler (1822-1896), avant tout compositeur de musique chorale et connu pour l’oratorio Jephtha und seine Tochter (1855), tira le second des deux drames lyriques qu’il composa alors qu’il avait déjà une cinquantaine d’années. On pouvait supposer que cette histoire d’amour impossible de deux protagonistes ayant rêvé leur rencontre ferait un bon livret d’opéra, et sur ce plan-là, les choses s’engagent assez bien. Seconde Senta, l’héroïne attend le beau chevalier dont elle a eu la vision, et celui-ci ne tarde pas à faire irruption dans l’atelier de son père, armurier. Un peu comme dans La Cenerentola, l’héroïne laisse choir le verre qu’elle avait à la main lorsqu’elle voit l’homme idéal en chair et en os (et le héros est à peine moins troublé). La musique, en revanche, est évidemment plus wagnérienne que rossinienne, mais elle renvoie plutôt au Wagner de jeunesse qu’à Parsifal, exactement contemporain. On trouvera ici des traces du Vaisseau fantôme, de faux airs de Tannhäuser, mais la veine mélodique renvoie à des compositeurs moins audacieux, avec son côté ronflant et ses fanfares de cuivres. Das Käthchen von Heilbronn est un opéra finalement plus brahmsien que wagnérien, et si Reinthaler n’a pas laissé une trace inoubliable dans l’histoire de l’opéra, cela tient peut-être simplement, comme pour beaucoup de compositeurs allemands de son temps, à un manque d’affinités réelles avec le genre dramatique.
Si sympathique qu’elle soit, cette tentative de réhabilitation d’un compositeur oublié se heurte à un écueil courant : la difficulté à trouver les interprètes adéquats. Cela commence par le vilain timbre nasal du ténor américain Richard Carlucci, qui montre que Peter Schreier a encore des émules, ou du moins des imitateurs : c’est dommage pour un personnage dans lequel l’héroïne reconnaît l’homme rêvé (mais peut-être n’avait-elle pas entendu sa voix dans son rêve…). De plus, la prononciation de certains passages laisse affleurer des sonorités bien plus texanes que germaniques. Marisca Mulder a une voix ample, comme la partition l’exige, mais on aimerait un timbre plus juvénile pour incarner la petite Catherine. Cela devient carrément problématique quand elle s’oppose à la Kunigunde d’Ilia Papandreaou, au timbre de mezzo moins noir qu’il pourrait l’être. Les deux rivales paraissent alors insuffisamment différenciées : que serait un Lohengrin où l’on n’entendrait pas la différence entre Elsa et Ortrud ? Dans le rôle de Theobald, Máté Sólyom-Nagy présente un beau timbre de baryton, mais il sonne un peu jeune pour être le père de l’héroïne. Peter Schöne en Rheingraf complète le quatuor principal ; il compose un « méchant » tout à fait crédible. L’orchestre et les chœurs de l’opéra d’Erfurt assurent vaillamment la partie qui leur revient, l’enregistrement live s’accompagnant des inévitables bruits liés aux mouvements des chanteurs sur la scène. Une rareté à réserver à ceux qui voudraient savoir ce qui se composait en Allemagne à l’époque où l’arbre Wagner cachait le reste de la forêt opératique.