Ce qui est touchant dans cette carte de visite sonore, c’est son côté « Engagez-moi, vous voyez bien que je peux le faire, et d’ailleurs je suis de Salzburg, alors Mozart c’est pour moi… »
Trente-cinq ans, un joli début de carrière à Dresde (Figaro du Barbier de Séville et Harlequin d’Ariadne auf Naxos), puis trois ans comme membre de la troupe de l’Opéra de Vienne (Papageno, Falke dans Die Fledermaus, Figaro de Rossini, Belcore de L’Elisir d’amore), des récitals de Lieder, y compris Winterreise avec son complice pianiste Sascha El Mouissi, des CD, dont un consacré aux Lieder de Max Bruch, bientôt Faust dans les Scènes de Faust de Schumann avec Ph. Herreweghe à l’Opéra des Flandres, Rafael Fingerlos est un jeune chanteur prometteur comme on dit.
Voilà donc un florilège d’airs et de mélodies de Mozart, avec la plupart de ses airs de baryton les plus fameux. Rafael Fingerlos dit bien qu’il a baigné dans cette musique depuis sa plus tendre enfance salzbourgeoise. Et qu’il y a entendu les plus grands interprètes. D’où notre réticence (légère). Tout cela est fort bien chanté, mais il y manque peut-être un je ne sais quoi de personnel qui ferait la différence. Ajoutons que l‘Orchestre du Mozarteum est ici dirigé par un vétéran, Leopold Hager, avec beaucoup de sagesse et toute l’expérience qu’on imagine, et disons un classicisme tout autrichien…
Baryton léger, dont les aigus sont brillants et les graves moins solides, on classerait volontiers Rafael Fingerlos dans la catégorie des barytons Martin, en tout cas dans les barytons lyriques.
Par exemple, dans « Rivolgete a lui lo sguardo », air de Cosi fan tutte alternatif à « Non siate ritrosi », on l’entend monter jusqu’au fa sans difficulté alors qu’il descend chercher le sol grave presque laborieusement.
Mais le centre de la voix est solide, de belle couleur, avec de l’éclat et de la rutilance, et c’est manifeste dans l’autre air de Guglielmo, « Donne mie lo fate a tanti », envoyé avec de la virulence et du panache (l’orchestre du Mozarteum de Salzburg est évidemment chez lui dans cette musique, les cordes notamment, et le maestro y presse très justement le tempo).
L’air d’Allazim « Nur mutig, mein Herze » dans Zaïde, aux aigus exigeants, le sert plutôt bien. Que Leopold Hager pour le coup prend sur un tempo relativement rapide (les vocalises sont un peu glissantes…).
De Don Giovanni, on entendra deux airs : la sérénade « Deh vieni alla finestra » est chantée dans un mezza di voce suave, tandis que l’air du catalogue, très central, fait entendre Fingerlos à son meilleur. Il dessine un Leporello au timbre relativement léger, vif, preste, fringant, avec beaucoup de mordant.
Ce florilège est complété par quelques Lieder et airs de concert. Parmi les Lieder, « Warnung » KV 433 (où brillèrent les Streich, Ameling et autres Schwarzkopf) est chanté avec une gentillesse toute papagenesque. Dans « An Chloé », Lied plus difficile qu’il n’y paraît, Fingerlos s’offre le luxe de le chanter à pleine voix (et non pas à mi-voix comme Fischer-Dieskau) et s’en tire très honorablement. Dans l’air de concert « Io ti lascio, o cara » (KV 621a), chanté avec une mâle vigueur et un timbre lumineux, on entendra quelques minuscules imprécisions peut-être, mais c’est la rançon d’un enregistrement que Fingerlos dit avoir été fait dans les conditions du concert, avec peu de montage et en recherchant le naturel…
Au chapitre des curiosités, l’air « Ich möchte wohl der Kaiser sein », KV 539, sous-titré parfois « Ein deutsches Kriegslied », est une turquerie dans l’esprit de L’Enlèvement au sérail. C’est une pièce peut-être suggérée par Leopold Hager qui l’enregistra jadis avec Walter Berry, d’ailleurs dans un tempo beaucoup plus enlevé. Fingerlos la chante avec le brio parodique qu’il faut.
Beaucoup de cœur dans les deux airs de Papageno, qu’il incarna à la scène, on l’a dit, et qu’il chante avec sérieux, sans la fantaisie surjouée qu’on y ajoute parfois. Une belle nostalgie se donne à entendre dans « Ein Mädchen oder Weibchen ».
Mais le plat de résistance, ce sont cinq airs extraits des Noces, trois de Figaro et deux du Comte. Bien sûr, puisqu’on est là pour ça, on marquera quelques réticences, mais c’est un bel ensemble. Evidemment, on pourrait souhaiter dans le « Se vuol ballare » un peu plus de théâtre et de mordant, dans « Non piu andrai » un peu plus de sarcasme et de verve, dans « Aprite un po’quegl’occhi » un peu plus de révolte et d’amertume (et un italien plus fluide)… On aimerait bien aussi que Leopold Hager ajoute un soupçon d’électricité à sa direction et on imagine volontiers que sur scène il y aurait le supplément d’âme évoqué au début.
L’air de colère d’Almaviva « Hai già vinta la causa » a de la noblesse, de la prestance, et ce sérieux qui est peut-être le fond du tempérament de Fingerlos.
… Et puis ajoutons qu’en prime il nous offre un air dont on nous dit que ce serait le premier enregistrement. Nous qui connaissons le Baritenor de Michael Spyres ne pouvons que sourire discrètement : ce « Vedrò, mentre io sospiro » suivi de la cabalette « Ah no, lasciarti in pace » de la version des Nozze de 1789, nous l’avons désormais en mémoire avec ses quatorze sol aigus (après lesquels les cinq du « Largo al factotum » de Rossini semblent une promenade de santé, dit Fingerlos dans le livret…) On constate qu’ici encore que Fingerlos montre beaucoup de chic et qu’il s’acquitte avec beaucoup plus de franchise des notes hautes que des graves dans cet air virtuose et tendu. Baritenor, lui aussi ?