C’est, encore aujourd’hui, dans l’orchestration de Ravel que l’on donne le plus souvent les Tableaux d’une exposition de Moussorgski ; à la demande de Diaghilev, il réorchestra la version Rimski-Korsakov de La Khovanchtchina. Ravel transcrivit aussi pour piano plusieurs pièces orchestrales et vocales de Debussy. Il ne devrait donc pas prendre ombrage de ce que ses œuvres soient à leur tour transcrites pour des effectifs différents de ceux qu’il avait initialement prévus, surtout quand la transcription est aussi respectueuse et intelligence que c’est le cas dans le disque publié par le label Klarthe.
Installé en France depuis plus d’un quart de siècle, Takénori Némoto est l’auteur de ces arrangements qui concernent les deux tiers du programme. En effet, un bon tiers est du pur Ravel, et c’est en prenant pour modèle l’orchestration si délicate et audacieuse des Poèmes de Stéphane Mallarmé (1913) et celle, moins hardie, de l’Introduction et allegro (1905) que le chef japonais a transcrit trois autres partitions pour la dizaine d’instrumentistes que compte l’ensemble Musica Nigella. Ce travail confère une unité imprévue au disque, une continuité orchestrale là où Ravel avait imaginé des sonorités variées.
Le passage d’un grand orchestre à une formation de chambre a bien sûr ses avantages et ses inconvénients : perte d’ampleur sonore mais gain en lisibilité mélodique, pour aller très vite. Dans Tzigane, l’opposition entre l’instrument soliste et le reste de l’orchestre est un peu moins sensible, mais la pièce conserve tout son caractère, grâce à d’intéressants jeux de timbres. Pour la Rapsodie espagnole, on ne retrouve pas vraiment la magie habituelle du « Prélude à la nuit », la noirceur impétueuse de la malagueña, la balancement lancinant de la habanera, ni la frénésie du zapateado de la « Feria », comme si la palette de l’orchestre de chambre avait plus de mal à rendre l’atmosphère créée par l’œuvre, peut-être à cause d’une direction manquant franchement de nerf.
Depuis quelque temps, pour des raisons de commodité et d’économie, on entend beaucoup la version pour piano et voix de Shéhérazade ; la transcription ici enregistrée propose une voie moyenne entre ces deux extrêmes et en préserve davantage le scintillement que ne peut le faire le seul piano. Chanteuse discrète, que l’on n’a jamais vue tirer la couverture à soi, Marie Lenormand ne propose pas une version de diva ; les couleurs sombres sombres de sa voix ne s’accompagnent d’aucune grandiloquence, et c’est tant mieux. Des deux moments vocaux de ce disque, c’est assurément le plus réussi, celui-ci aussi où Ravel offre au chant les plus belles occasions de se déployer, et l’on salue l’atmosphère que la mezzo sait créer dans le deuxième et le troisième volet du triptyque, moins flamboyants mais non moins envoûtants.
Pour les Mallarmé (dont « l’exotisme » revendiqué par le titre du disque relève moins du dépaysement géographique que de l’usage qu’il y est fait de la langue, peut-être), il faut d’abord oublier la préférence qu’on peut avoir pour une voix masculine, surtout pour le « Placet futile », auquel il faut en outre cette préciosité poudrée que Marie Lenormand ne tente hélas pas d’y mettre. Ces mélodies, dans lesquelles Ravel s’avance jusqu’au point maximum de la moderinté musicale de son temps, sont d’une difficulté diabolique, et on n’y sent pas la chanteuse toujours très à l’aise. La diction que l’on appréciait dans Shéhérazade semble ici moins nette, et le traitement ravélien d’un texte abscons de nature n’aide guère, il est vrai.