L’intégrale des œuvres orchestrales de Ravel par Leonard Slatkin et l’Orchestre national de Lyon poursuit peu à peu son petit bonhomme de chemin. Après L’Enfant et les Sortilèges et L’Heure espagnole tous deux sortis l’année dernière, ainsi qu’un premier volet de trois albums pour orchestre s’étalant depuis 2012, c’est la gravure de Daphnis et Chloé avec le chœur Spirito qui a retenu notre attention pour ce compte rendu.
La réussite de cet album n’était pas une garantie, car l’orchestre mené par Slatkin peine à nous convaincre durablement. Si le chef est rompu à la musique de Ravel comme en témoigne sa dernière tournée aux Etats-Unis, certaines pages témoignent d’une main un peu trop généreuse sur les nuances. L’Introduction enfle tant et si bien que la clarté se perd, au profit d’un grondement orchestral impressionnant mais impénétrable, et si la Danse guerrière en souffre déjà moins, la Danse générale retombe dans le même travers, où les pupitres sont noyés dans une pâte sonore trop épaisse. A l’inverse, saluons un diptyque des danses de Dorcon et Daphnis, finement travaillé, ainsi qu’une Pantomime où les (excellents) solistes du National de Lyon s’en donnent à cœur-joie. Enfin, le Lever du jour nous offre ce qu’il faut de crescendo sans pour autant nous noyer sous la masse orchestrale. Dommage que dans Une barque sur l’océan, le chef ne fasse pas preuve du même sens de la forme, la battue métronomique ne suffisant pas à garantir la cohésion de la pièce.
On pourrait regretter la présence seulement timide de la voix dans cette « symphonie chorégraphique », présence encore raréfiée par les représentations des suites sans chœurs, habitude que partagent beaucoup d’orchestre (souvent pour des raisons de budget). Pour pallier ce manque, Spirito se charge de nous prouver que la réussite d’une interprétation de Daphnis tient aussi à la qualité de la partie chorale qui, une fois bien mise en valeur, est garantie du meilleur effet sur l’auditeur. Issu de la fusion entre les Chœurs et Solistes de Lyon et le Chœur Britten, l’ensemble dirigé par Nicole Corti s’est hissé parmi les formations de qualité, comme en témoignait déjà leur intervention dans L’Enfant. Dès l’introduction, nous sommes frappés par la netteté du timbre et de l’intonation. L’Interlude de la deuxième partie vient confirmer notre impression, montrant non seulement un équilibre de pupitres qui résiste à une écriture plus polyphonique, mais également une réelle maîtrise de la forme. L’intervention radieuse dans le Lever du jour achève de nous conquérir.
Nuançons seulement notre propos en évoquant la prise de son assez curieuse. Durant toute la première partie, nos choristes semblent voilés, si bien qu’il faut tendre l’oreille pour vraiment en apprécier les interventions pourtant pertinentes. En revanche, l’Interlude pêche par la tendance inverse, où le mystère de cette vocalise lugubre est éclairci un peu trop violemment par une présence au tout premier plan. C’est d’autant plus dommage que, pour le reste de l’orchestre, la prise de son nous semblait au contraire très affinée.
Passons sur ces frustrations, et réjouissons-nous plutôt du fait que Lyon soit maintenant doté d’une nouvelle phalange chorale de qualité, et que le prochain album de cette intégrale soit consacré à la rarissime réorchestration d’Antar de Rimski-Korsakov par le maestro de Monfort-Lamaury.