Les emplois straussiens de Renée Fleming font l’objet, chez Decca, d’une véritable collection. Des DVD ont déjà fixé son Arabella, sa Comtesse Madeleine et sa Maréchale, son Ariane vient maintenant clore le bal. Soulevons néanmoins une différence de taille : si la soprano américaine connaît depuis longtemps les héroïnes du Chevalier à la Rose, de Capriccio et d’Arabella, c’est sa toute première incursion chez le personnage éponyme d’Ariane à Naxos, filmée à Baden-Baden il y a un an, qui nous est présentée ici (voir recension). De là point un sentiment d’inachevé. Sentiment tout relatif, s’agissant d’une des grandes spécialistes de ce répertoire, auquel elle prête, une fois de plus, des moyens exceptionnels. Mais avec ses apparitions elliptiques et sa double-personnalité, Ariane est de ces personnages que l’on ne peut tout à fait saisir du premier coup. La Prima Donna du Prologue échappe encore à Renée Fleming, qui force ostensiblement sa nature pour jouer la comédie ; l’héroïne délaissée de l’Opéra lui convient mieux, qui lui donne l’occasion de réussir un « Es gibt ein Reich » voluptueux, à partir duquel la fin de la soirée la montre en grande forme. C’est beaucoup, mais pas assez abouti pour que le spectateur en sorte pleinement convaincu.
Il faut dire que le spectacle de Philippe Arlaud ne pousse pas au dépassement. Si la direction d’acteur est plutôt fluide et habilement orchestrée, elle n’apporte aucun éclairage original sur des personnages qui, pourtant, ne manquent pas de part d’ombre. Se réfugier ensuite dans l’élégance glacée du magasin Roche Bobois qui a de toute évidence inspiré les décors tient davantage du réflexe que de la réflexion esthétique.
Le reste de la distribution, dans ce vide, a pour elle ce qui manque fatalement à Fleming : le précieux atout de l’expérience. Le compositeur fiévreux de Sophie Koch, la Zerbinetta attachante (mais aussi un peu acide de timbre) de Jane Archibald, le Maître de musique impeccable d’Eike Wilm Schulte comptent sur leur métier pour donner vie à leurs personnages, et ça fonctionne, comme fonctionne le beau Bacchus d’un Robert Dean Smith tout en séduction vocale, en maîtrise du souffle, à peine trop sollicité par les aigus meurtriers de son rôle. Pour l’anecdote, le Majordome est incarné par un fringant René Kollo : c’est aussi au luxe de ses comprimarii que l’on reconnaît une distribution de grande classe.
Last but not least, Christian Thielemann suscite curieusement les mêmes enthousiasmes et les mêmes réserves que Fleming : lui aussi est un musicien de tout premier ordre, lui aussi est en terrain conquis chez Strauss, lui non plus n’est pas à son aise dans la nature hybride d’Ariane à Naxos, qu’il pare, deux heures durant, des fastes inestimables prodigués par sa Staatskapelle de Dresde. Le tout ne manque certainement pas de grandiose, ni de chic, mais ne peut se départir non plus d’une certaine raideur. Moins embarrassé à la tête des orchestrations fournies requises par les ouvrages les plus « wagnériens » de Strauss, le chef allemand, à l’image de ce DVD, éblouit totalement, ne convainc qu’à moitié.