Renée Fleming n’a jamais caché sa fascination pour le bel canto. Hélas, ses quelques incursions dans ce répertoire n’ont pas toujours été concluantes, loin s’en faut. Si son Armida rossinienne à Pesaro en 93 avait fait sensation, son Imogène du Pirata au Châtelet en 2002 s’était avérée totalement hors sujet. Quatre ans plus tôt, le public milanais lui avait cruellement fait savoir que son interprétation de Lucrezia Borgia ne l’avait guère convaincu. Néanmoins, la cantatrice ne s’est guère avouée vaincue et a repris le rôle de la sulfureuse épouse du Duc de Ferrare à New-York en concert, en 2000 puis à San Francisco à l’automne 2011, représentations qui sont à l’origine du présent DVD.
Les décors monumentaux signés John Pascoe*, qui a également réalisé la mise en scène, sont constitués d’un grand escalier central autour duquel s’articulent de gigantesques murailles qui représentent tour à tour un quartier de Venise, la façade puis l’intérieur du Palais ducal de Ferrare et la salle des banquets du Palais Negroni. Les costumes des principaux personnages évoquent davantage les films de science-fiction américains de série B des années 50 que le quinzième siècle italien. La palme du kitch revient à celui que porte Lucrèce Borgia au dernier acte. Lorsqu’elle apparaît, les cheveux coupés, dans un nuage de fumée, pour annoncer à Maffio et ses amis qu’ils vont mourir, elle est vêtue d’un haut en cuir, de collants noirs et de bottines qui lui donnent l’apparence d’une maîtresse SM. Quant à la direction d’acteurs, elle se résume à quelques poses convenues, face au public, sans grande originalité si ce n’est l’attitude par moment équivoque de Maffio Orsini vis-à-vis de Gennaro qui laisse supposer que ses sentiments pour le jeune homme vont au-delà de l’amitié virile.
C’est Elisabeth DeShong qui, coiffée d’une perruque rose, incarne le jeune Maffio. Cette mezzo-soprano américaine possède une voix solide et homogène, sa technique sans faille lui permet d’assumer les nombreuses ornementations dont sa partie est parsemée, notamment le brindisi « Il segreto per esser felice » dont elle livre une interprétation irréprochable. Dommage que son timbre, un rien acidulé, n’ait rien d’exceptionnel.
Vitalij Kowaljow, en revanche, est doté d’un timbre somptueux, riche en harmoniques, qui a toute la noirceur requise pour incarner le mari jaloux et vindicatif de Lucrèce. Habitué à fréquenter les grands rôles des répertoires verdien et wagnérien, la basse ukrainienne parvient à vocaliser avec une certaine aisance et se montre tout à fait convaincant dans la grande scène qui l’oppose à son épouse au début de l’acte deux où son autorité fait mouche.
La prestation de Michael Fabiano n’appelle que des éloges. Ce jeune ténor, que les Parisiens ont découvert à l’automne dernier dans Lucia di Lammermoor aux côtés de Sonya Yoncheva, chante avec un style et un goût irréprochables. Son timbre lumineux, les irrésistibles demi-teintes dont il orne sa ligne de chant et son physique de jeune premier font de lui un Gennaro de haute volée. Dommage qu’on l’ait affublé d’une perruque blond platine qui lui donne un air efféminé. Cela dit, voilà un artiste sans nul doute promu à une belle carrière.
Et Renée Fleming ? Si elle se montre prudente durant son air d’entrée « Com’è bello », son interprétation gagne en intensité au fil de la représentation pour culminer dans une scène finale tout à fait hallucinante. La cantatrice ponctue la cabalette « Era desso il figlio mio » qui conclut l’ouvrage, d’accents particulièrement déchirants. Certes, la voix n’a plus cette onctuosité qui lui a valu le surnom de « double crème » et l’aigu a perdu de son insolence mais, même si le style belcantiste lui échappe par moment, son incarnation force le respect tant elle y met de conviction et se révèle finalement plus intéressante que celle qu’elle avait livrée à la Scala en 1998.
Toujours attentif aux chanteurs, Riccardo Frizza dirige cet ouvrage avec un chic et une élégance de bon aloi sans négliger le drame, notamment dans la scène finale.
Signalons enfin que le boîtier luxueux comporte un livret richement illustré de photos en couleurs et deux DVD, l’un avec l’opéra intégral, l’autre avec les interviews des principaux interprètes.
* John Pascoe avait également signé les décors de la Lucrezia Borgia donnée à Londres en 1980 avec Joan Sutherland et Alfredo Kraus, parue en DVD sous le label Kultur.