Soyez rassuré, l’enregistrement d’Il Tramonto, de Respighi contredit la mue annoncée par la pochette et la brochure, qui voudraient nous faire croire qu’Anna Caterina Antonacci serait devenue soprano. Deux des meilleures suites d’orchestre du compositeur encadrent le poème lyrique.
Le Trittico Botticielliano, qui ouvre le programme, est une des œuvres les plus réussies et les plus connues de Respighi. La montée de sève du printemps, avec ses trilles constants et les citations médiévales et renaissantes, la délicatesse des coloris, la vie rythmique sont toujours aussi séduisants. Le beau solo de basson qui ouvre « l’adoration des bergers », auquel se joignent les bois, sonne très français. La phrase modale en mixtures sur pédale et le traitement très rapsodique auxquels les formules donnent lieu sont ravissants. « La naissance de Vénus » avec ses ondulations marines, ses couleurs impressionnistes, la progression qui conduit à l’apparition de Vénus, a toute la souplesse attendue. Trois belles pages auxquelles l’orchestre rend pleinement justice.
Il Tramonto [le coucher de soleil], rarement entendu au concert, a déjà fait l’objet de plus de vingt enregistrements, dont dix-huit disponibles, auxquels les plus grandes voix ont prêté leur concours (Jurinac, Seefried, Scotto, Podles, Von Otter, Kožená… jusque Sophie Koch). Ecrite pour quatuor d’archets, l’œuvre est le plus souvent confiée à un orchestre, qui lui confère une dimension lyrique plus opératique. Cette page admirable à elle seule mérite l’écoute de cet enregistrement. L’ambitus – sage, d’une dixième – correspond précisément à la tessiture idéale de notre mezzo, Anna Caterina Antonacci. La voix est colorée, chaude, d’un soutien et d’une ligne admirables. La distinction, le raffinement le disputent à une sensualité frémissante. Toutes les expressions de la passion y sont merveilleusement illustrées, avec la fraîcheur et la force requises. L’italien, évidemment impeccable, est servi avec une rare intelligence du texte. On explique mal pourquoi le livret le présente dans sa source anglaise et dans sa version chantée, mais sans traduction française. Ce sera la seule réserve, mineure, car l’enregistrement est splendide, somptueux, capiteux comme délicat, porteur d’une émotion constante. L’orchestre sonne admirablement, riche d’une plénitude, des nuances les plus ténues aux bouffées de passion ensorcelante. Un must. Pourquoi les œuvres lyriques de Respighi restent-elles si rarement programmées, alors que leur écriture vocale et orchestrale sont un tel régal ?
Vetrate di chiesa est certainement le moins joué des recueils orchestraux de Respighi. On explique mal cette désaffection. Peut-être le programme plaqué a posteriori par le compositeur et ses proches pour faire croire qu’il s’agissait de petits poèmes symphoniques ? Oublions cela pour nous concentrer exclusivement sur la musique. Force est de reconnaître que, sans redites, la tonalité avait encore de très beaux jours en 1926. La pâte sonore, la qualité de l’écriture et de l’orchestration donnent à ces quatre pièces une majesté, une noblesse peu communes. On atteint une réelle grandeur, qui ne doit que peu à Rimsky-Korsakov, et rien ni à Debussy ou Strauss, nourrie de modalité, d’une originalité indéniable. On imagine le bonheur des musiciens à interpréter pareille œuvre, où voisinent le grandiose et le fragile, avec des soli instrumentaux splendides.
Les qualités rares de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège sont connues, combinant ce qui fait la valeur des formations germaniques et françaises. John Neschling le porte ici à son meilleur niveau, qu’il s’agisse du répertoire symphonique comme du lyrique.
Le livret d’accompagnement de 30 pages, trilingue (anglais, allemand et français), bien documenté, reproduit le texte chanté en italien, et sa source anglaise.