Même si Bach ne l’a pas entendue de son vivant et que l’on dispute encore de l’intention du projet, la polyphonie liturgique n’a pas produit de monument plus important que la Messe en si mineur. Œuvre d’une profonde unité, malgré ses origines diverses et sa gestation compliquée, c’est la somme complexe de la science du Cantor, de son invention aussi.
Après plus de deux cents enregistrements recensés, on croyait que tout avait été dit, de Scherchen à Jordi Savall, en passant par Joshua Rifkin. Et voici un nouveau venu qui bouleverse les conceptions et les hiérarchies : Vaclav Luks, dont le projet est d’ « aborder une des plus belles œuvres musicales sans être paralysé par sa grandeur, avec pour seule envie de découvrir ses couleurs magnifiques dans leur beauté d’origine, sans la patine de l’interprétation traditionnelle. »
On connaissait le jeune chef tchèque et son ensemble Collegium 1704 à travers ses remarquables enregistrements et la révélation de l’Olimpiade de Myslivecek. Son approche est captivante : d’un merveilleux équilibre, dynamique à souhait, sans pathos, mais avec un sens dramatique affirmé. Ainsi, les alla breve (Kyrie II, Gratias…) – notés expressément par Bach, mais encore trop souvent oubliés – confèrent à ces pages un élan aux antipodes du hiératisme pâteux de certains héritiers de Karl Richter.
Il est servi par son chœur, Collegium Vocale 1704, superlatif, intégrant les solistes, à quatre par partie (comme le souhaitait Bach dans son Mémoire de 1730), ce qui lui permet de tisser une savante polyphonie, colorée à souhait, aux lignes toujours claires, modelées comme Suzuki sait le faire, d’une articulation exemplaire.
Quant aux solistes, aucun ne démérite, tant s’en faut. Aucune personnalité, sinon celle d’Hana Blazikova, qui sait se fondre dans l’équipe. Les voix sont traitées avec une certaine humilité, à l’égal des instruments avec lesquels elles dialoguent. Les individualités sont gommées au profit d’un ensemble dont l’esprit est celui d’un petit chœur.
Collegium 1704 et ses instrumentistes sont en tous points remarquables, les vents particulièrement (flûtes, hautbois d’amour, corno da caccia), qui n’ont guère d’équivalent que chez Brüggen (introuvable, hélas !). Le continuo surprend, lui aussi, par son traitement à part entière, telle la partie de violoncelle d’un quatuor, avec un phrasé valorisant, et par le rôle dévolu à un orgue très présent.
L’énumération des différentes parties n’a pas ici sa place, mais comment omettre de souligner la beauté du Qui tollis, imploration douloureuse de ses chromatismes, tendu, avec le survol angélique des deux flûtes ? Ou encore la force du Crucifixus, dramatique, suivi du jubilatoire Et resurrexit ? Du Benedictus, retenu, où le ténor, dans une grande douceur confiante, énonce sa partie entouré de la flûte et du continuo ? Une version qui figurera parmi les grandes références.
La prise de son aboutit à une restitution claire et naturelle. La plaquette, quadrilingue, riche en information, est un modèle du genre.