Malgré la richesse de leur contenu, il est exceptionnel qu’une revue scientifique, destinée avant tout aux chercheurs, fasse l’objet d’un compte-rendu dans nos colonnes.
Le dernier numéro de la Revue de Musicologie comporte deux articles susceptibles d’intéresser nos lecteurs. Le premier, que signe Barbara Nestola, s’intitule La professionnalisation des acteurs chantants dans le contexte de la création de la première Académie d’opéra (1669-1672). La professionnalisation de chanteur d’opéra intervient en France plus d’une cinquantaine d’années après l’Italie. En 1669, sur privilège de Louis XIV, Perrin crée une Académie d’opéra, associé à quelques financeurs, et à Cambert qui composera la musique. Pour ce faire, sont engagés des interprètes que l’on qualifierait maintenant d’amateurs expérimentés, bénévoles. Ainsi avait vu le jour La Pastorale d’Issy (1659). C’est en effet autour des années 1660 que se modélise ce qui aboutira à la tragédie en musique. Le recrutement de chanteurs languedociens, par Monier, attaché à la Musique du roi, est décrit avec minutie, n’en négligeant aucun des aspects. L’autorité de Cambert est manifeste, qui s’oppose à ce que « ses » chanteurs puissent exercer leur art en dehors de son académie. Malgré la relative précarité d’une institution naissante (répétitions dans le cloître de l’église Saint-Honoré, entre autres), les contrats son signés et nous informent de leurs clauses. Psyché, tragédie-ballet de Molière et Lully, fédère tous les moyens disponibles. Pomone suivra en mars 1671. Dans son avant-propos, Perrin nous renseigne sur les compétences – limitées – des chanteurs-acteurs : tout reste à faire. L’usage des machines, un jeu scénique exigeant, le récitatif marquent la transition de la pastorale à la tragédie lyrique. Même si tous les interprètes n’en sont pas associés aux emplois, l’auteure a pu en identifier plusieurs ainsi que leur parcours. L’adéquation des chanteurs aux personnages qu’ils incarnent est déjà une préoccupation. Lorsque Lully rachète le privilège de Perrin, en 1672, il impose son autorité sans partage sur l’entreprise lyrique. Ses exigences permettront l’émergence des chefs-d’œuvre que l’on connaît, fondés sur un enseignement fructueux et sur des emplois devenus très professionnels. Une contribution essentielle qui – par-delà le monde de la recherche – passionnera les amateurs de chant baroque, comme d’histoire de l’opéra.
Le second article, en anglais, a pour titre Beyond the Work : the Story of the Opera Production for the Wedding of Frederick Augustus and Maria Josepha (1719) [Au-delà de l’œuvre : l’histoire de la production d’opéra pour le mariage de Frédéric Auguste et de Maria Josepha]. L’auteur, Szymon Paczkowski, professeur de musicologie à l’Université de Varsovie, est un spécialiste de la musique baroque. C’est à Dresde, en 1719, que fut donné Teofane, opéra sur une musique d’Antonio Lotti et un livret de Stefano Pallavicini, à l’occasion du mariage de la fille aînée de l’empereur Joseph I et de celui qui deviendra Auguste III, prince électeur de Saxe et roi de Pologne. La mise en scène, fastueuse, monumentale, sera l’une des dernières d’opéra de cour. Les préparatifs furent amorcés très tôt, puisque les unions faisaient l’objet de longues négociations. Le livret – arrêté en mars 1719, alors que c’est en septembre que le mariage eut lieu – était adapté à la circonstance : Ottone II, empereur romain, y épouse Teofane, fille de celui de Byzance… Lotti écrivit pour une distribution prestigieuse (Senesino, Boschi, Berselli, la Durastanti). Haendel l’entendit et s’en souvint dans son Ottone, basé sur le même livret. Les archives, correspondances et témoignages du temps permettent à l’auteur de décrire la gestation tourmentée, avec notamment ses problèmes artistiques et financiers. Les illustrations d’archives donnent une idée du faste qui entourait cette production. Là encore, le curieux de chant baroque et d’histoire trouvera de quoi satisfaire sa passion.