Riccardo Muti fête son quatre-vingtième anniversaire le 28 juillet prochain. A cette occasion Warner réédite, en un fort coffret de 91 CD, l’intégralité des enregistrements symphoniques réalisés par le chef napolitain pour EMI durant trois décennies, pour l’essentiel avec le Philharmonia de Londres et l’orchestre de Philadelphie, phalanges dont il a été successivement le directeur musical.
Ce qui nous intéresse ici, sachant que Muti est l’un des plus grands chefs lyriques, patron de La Scala de 1986 à 2005, c’est la vingtaine de disques de ce coffret qui illustrent l’art de Muti impérial autant qu’impérieux dans les grandes œuvres chorales et vocales que contient cette boîte.
D’abord Cherubini (1760-1842), emblématique directeur du Conservatoire de Paris de 1822 à sa mort, dont Riccardo Muti s’est fait le héraut. Si le Requiem en ré mineur (1836) – composé par le natif de Florence pour ses propres funérailles, que voilà un homme prévoyant ! – n’était pas une rareté au disque (magnifique Markevitch avec la Philharmonie tchèque), l’autre Requiem, en do mineur, à la mémoire de Louis XVI (1816), les cinq messes (dont celles des sacres de Louis XVIII et Charles X) ont dû attendre les gravures de Muti pour être remises au jour. Chacune de ces œuvres échappe à l’empois inhérent à leurs circonstances, parce que Muti anime d’une saine vigueur ce qui pourrait friser l’académisme.
De Rossini un Stabat Mater de très belle tenue, où aucun des solistes ne fait son numéro, dans un geste puissamment unifié par le chef.
Verdi ne pouvait pas être absent d’une telle somme ! D’abord la seule version gravée par Muti… à Berlin des Quattro pezzi sacri (avec des choristes suédois !) et l’aérienne Arleen Auger. Mais surtout deux Requiem, l’un gravé à Londres en 1979 avec un cast assez hétérogène (Scotto, Baltsa, Lucchetti bien vulgaire, Nesterenko), l’autre capté « live » à la Scala en 1987 avec une équipe grand format (Studer, Zajick, Pavarotti, Ramey), des tempi plus contrastés, une ferveur palpable.
Un Requiem de Mozart gravé à Berlin à l’occasion du bicentenaire de la mort du compositeur, qui semble gagné par une forme de perfection hédoniste alla Karajan dernière manière. Pas indispensable !
Un Roméo et Juliette de Berlioz qui fit sensation à sa parution en 1985, la perfection de l’orchestre de Philadelphie dans une partition redoutable, et trois solistes de grand luxe, Jessye Norman, John Aler et Simon Estes, parfois en délicatesse avec une langue française que Berlioz complexifie à souhait. On peut préférer ici la fougue moins léchée d’un Munch ou d’un Monteux.
On a un peu oublié ce qui pourrait bien constituer la référence de la Faust Symphonie de Liszt, ce vaste poème symphonique en trois volets qui fait appel à un ténor et un choeur dans le mouvement final (superbe Gösta Winbergh).
Les Carmina Burana de Carl Orff dénotent dans cet ensemble. Mise en place impeccable, mais vraiment trop sérieux !
La surprise de ce coffret, pour ceux qui avaient manqué une version longtemps disponible dans une collection économique allemande, c’est un couplage astucieux et inédit de musique française qui rassemble La Mer de Debussy, Une barque sur l’océan de Ravel… et le Poème de l’amour et de la mer de Chausson où l’on n’attend pas forcément la pulpe et le velours de la voix de Waltraud Meier. On en vient à regretter que Muti se soit fait aussi rare accompagnateur au disque.
En revanche, on passera rapidement sur deux tubes de Vivaldi (le Magnificat RV 611 et le Gloria RV 589) que la présence de Teresa Berganza et Lucia Valentini-Terrani ne sauvent pas d’une inexplicable lourdeur.