C’est là la réédition d’un enregistrement qui assurément appartient à l’histoire du disque, puisque ce Rigoletto fut la première intégrale d’opéra de RCA Victor, en 1950. Toutefois le microsillon n’avait été réédité en CD, sauf erreur, que chez Preiser et Naxos, dans une qualité moyenne. Ici, la restauration est admirable.
En particulier, on a rarement entendu aussi proche le timbre sombre et incroyablement ductile de Leonard Warren, que d’autres captations font passer pour granitique. De même, les couleurs chaleureuses du RCA Victor Orchestra dirigé avec entrain par Renato Cellini ressortent avec une chatoyance toute particulière. Partout on sent la main du chef, remarquable artisan qui sait doser les effets, notamment dans les scènes d’ensemble (tout le bal). C’est, il est vrai, une certaine conception de Verdi qui prévaut ici : celle d’un Verdi tout de drame, dont les finesse d’atmosphère ne seraient pas le fort. Cellini n’est ni Serafin ni Giulini mais regarde avec talent vers Toscanini. C’est donc là un Rigoletto résolu, puissant, et qui va de l’avant.
Le cast y est pour beaucoup : c’est le grand luxe RCA d’alors. Leonard Warren, on le redit, n’est pas un baryton seulement robuste, c’est un diseur et un acteur, sa présence est étonnamment inquiétante, menaçante même, sans certes les failles qu’y mettra peu de temps après un Tito Gobbi ni même son génie du verbe – mais il en remontre à plus d’un et l’on sait où le grand Milnes est allé chercher son inspiration (jusque dans des similitudes de timbre parfois troublantes). Les deux autres protagonistes sont sans doute un peu moins réjouissants, mais là aussi la restauration sonore leur rend des couleurs. Erna Berger perd de son piquant au profit d’une patine de timbre intéressante, même si elle n’est pas la Gilda rêvée – assez extérieure à ces émotions, elle leur confère tout ce qu’elle peut de galbe et de tendresse, ce qui est déjà considérable. Jan Peerce quant à lui paraît moins serré de timbre, mais toujours aussi nasal. Ce qui frappe c’est son côté énergumène : toujours déchaîné, il est un Duc intrépide et sur-hormoné, une vraie tête à claques. Formidable – dans son genre. Les seconds plans sont admirables, avec une Nan Merriman sensuelle en diable et surtout, surtout, un Italo Tajo murmurant ou tonnant, déglingué, effrayant.
Ce qui peut-être nous éloigne de cet enregistrement, c’est la vision plus complexe de l’oeuvre que devait imposer peu après la version Callas-Gobbi-Serafin, suivie par la lignée des Kubelik-Bergonzi-Fischer Dieskau ou Giulini-Domingo-Cotrubas-Cappucilli. Telle quelle, avec son énergie, sa théâtralité, sa qualité propre, cette version est un moment important de la discographie rigolettienne, qui retrouve ici une réjouissante fraîcheur.