Qui connaît la musique de chambre de Janáček ? Si ses opéras sont joués de plus en plus souvent, sa musique instrumentale et chorale reste injustement oubliée. Tantôt intime et mélancolique, tantôt humoristique et criard, le style du compositeur tchèque se dévoile pourtant pleinement dans ces œuvres pour ensemble réduit, souvent plus proches de la miniature que des formes développées.
La sélection effectuée par le chef Reinbert de Leeuw est remarquable car particulièrement cohérente puisqu’elle capture toutes les facettes du compositeur. L’ordre chronologique des pièces n’y est pas anodin : il permet de constater le chemin parcouru par Janáček au long de sa vie. Les premières œuvres sont encore empreintes de romantisme et de nationalisme, très influencées par Smetana (voir Kačena divoká). Néanmoins, leur raffinement harmonique laisse anticiper le développement du compositeur. Dans Elegie na smrt dcery Olgy et dans la Sonate 1.X.1905, on découvre des pages très intimes et sensibles, l’une étant composée pour la mort brutale de sa fille, l’autre en mémoire d’un ouvrier abattu lors de manifestations à Brno. La forme se rétrécit, les harmonies se troublent, le compositeur n’hésite pas à suspendre le discours et use davantage de la répétition, ce qui deviendra sa marque de fabrique. Les contrastes dans l’écriture et la courbure dramaturgique de Vlčí stopa font penser à un opéra-miniature, tandis que Potulný šílenec laisse l’auditeur bouche-bée tant le compositeur traite le chœur de manière inouïe. C’est finalement dans le Concertino et dans les Říkadla que l’on reconnaît le Janáček le plus typique ou l’apparente simplicité de ces mélodies enfantines fait penser au Stravinsky de Renard ou des Berceuses du chat. Le compositeur se fait chantre du folklore tchèque à l’humour grinçant, aux ritournelles entêtantes mais toujours marqué par une originalité presque déroutante et par une perpétuelle recherche du renouvellement dans l’écriture. Tout est frais, drôle et terriblement humain pour un vieux lion de 72 ans.
Musicalement, cet enregistrement est une grande réussite. Les musiciens de l’ensemble Het Collectief savent se plier aux exigences du style de Janáček en usant de l’humour et de l’audace dans les mélodies faussement niaises du Concertino, mais en faisant également preuve d’une tendresse très touchante pour l’Elégie ou la Sonate. Il sera cependant permis de douter de l’arrangement pour orchestre de chambre de cette-dernière. Si l’écriture pour piano assez maladroite de Janáček invite la formation chambriste, l’œuvre y perd un peu de son intimité et de son dramatisme silencieux.
Toujours excellent, le Collegium Vocale Gent fait également preuve de capacité à s’adapter. Le son est équilibré, riche et précis lors des ensembles (La canne sauvage, l’Elégie) mais les courtes répliques scandées des Říkadla savent aussi se montrer grotesques ou impertinentes. On retiendra les solos peaufinés du ténor dans l’Elégie et de la soprane dans Vlčí stopa, qui prouvent que les chanteurs du Collegium ont de la musicalité à revendre.
La qualité de l’enregistrement reste très bonne, même si le piano semble être pris de trop près dans le Concertino. Le livret accompagnant l’enregistrement est agréable, quadrilingue (français, anglais, allemand et néerlandais), accompagné des biographies des ensembles et d’une petite interview avec le chef.
On se laissera donc facilement toucher par l’humanité débordante du compositeur, magnifiquement servi par un chœur, un ensemble et un chef de grande qualité.