Au départ, quelqu’un a dû avoir une idée, pas forcément plus mauvaise qu’une autre : et si l’on transposait l’univers chevaleresque de La Jérusalem délivrée dans le milieu du glam rock ? Les deux camps ennemis deviendraient des groupes rivaux, un peu comme au temps de Haendel les troupes d’opéra s’affrontaient en une concurrence acharnée. Rinaldo serait Freddy Mercury, Eustazio serait Ziggy Stardust, Argante serait Kiss, etc. Et le costumier a dû bien s’amuser à créer des costumes mi-XVIIIe siècle, mi-seventies, avec des détails amusants que seuls les spectateurs des premiers rangs pouvaient apercevoir (Rinaldo porte des souliers à talon haut, mais à trois bandes noires sur fond blanc, comme de célèbres baskets…). L’ennui, c’est qu’une fois l’idée lancée, personne ne semble s’être chargé d’en tirer les conséquences possibles, en situant l’action dans le milieu du show business comme l’a brillamment fait Max Emanuel Cenčić pour Serse à Karlsruhe. Rien de tel ici, et la transposition ne va pas au-delà des costumes. Voilà pourquoi le visionnage de ce Rinaldo dont Dynamic publie la captation se révèle être un redoutable pensum : la mise en scène de Giorgio Sangati brille par une remarquable absence d’intérêt dramatique, et il doit y avoir plus d’idées théâtrales dans le moindre spectacle monté par des lycéens.
Encore un DVD pour rien, donc, là où un CD aurait amplement suffi. C’est dommage, et pour plusieurs raisons. D’abord parce que ce Rinaldo-là n’a rien d’ordinaire. Le festival de Martina Franca avait en effet choisi de ressusciter la « version de 1718 » donnée à Naples pour l’anniversaire de Charles VI, roi de Naples de 1714 à 1738. Pour l’occasion, l’œuvre qui avait remporté un grand succès à Londres sept ans auparavant fut adaptée, notamment par l’adjonction de deux personnages, Lesbina, suivante d’Armide, et Nesso, domestique d’Almirena. Ce n’est pourtant là que la partie émergée de l’iceberg, et la contribution de ces deux figures comiques reste anecdotique. Plus significatif, le réagencement complet de la distribution. Si Rinaldo était interprété par le même artiste qu’en Angleterre – le castrat Grimaldi –, si Armide restait soprano et Eustazio contralto, les trois autres protagonistes changèrent d’identité vocale : Almirena devint contralto, Argante passe de la tessiture de basse à celle de castrat contralto, et Goffredo, créé à Londres par la contralto Francesca Vanini, fut confié à un ténor. Et il s’en suit très logiquement, que ces dames et ces messieurs ne pouvaient plus chanter la partition telle que Haendel l’avait écrite. D’où quelques ajustements, et surtout la substitution pure et simple d’arie di baula aux morceaux initialement prévus. Grâce à un manuscrit conservé en Angleterre et très récemment retrouvé, un musicologue a pu établir une version jouable de ce Rinaldo à la napolitaine. Si le boîtier juxtapose les noms de Haendel et de Leonardo Leo comme co-auteurs de cet arrangement (on peut leur attribuer 50 et 30% de la musique, respectivement), il faut aussi y ajouter ceux de Vivaldi, d’Orlandini, de Sarro et de quelques autres encore.
Ce qui justifie la captation audio de ce spectacle, c’est aussi la présence d’une distribution de qualité. Citons en premier lieu l’Argante remarquable de Francesca Ascioti, l’une des rares à ne pas trop pâtir du néant de direction d’acteur. La mezzo parvient à conférer à son chant toute l’ardeur qui sied à son rôle de méchant. Le personnage d’Almirena est le grand bénéficiaire de la transformation du livret : la victime gentillette acquiert un tempérament qui se manifeste d’emblée, et Loriana Castellano lui donne une solide présence. On apprécie aussi l’élégance du ténor Francisco Fernández-Rueda, Goffredo stylé. Dans le rôle peu passionnant d’Eustazio, Dara Savinova fait valoir un timbre chaud. Soutenue par une véritable mise en scène, Teresa Iervolino aurait sans doute pu atteindre d’autres sommets ; le ton élégiaque lui convient ici mieux que les airs virtuoses (dans cette étrange version, Rinaldo récupère « Lascia ch’io pianga »). Seule Carmela Remigio peine à camper une Armide aussi menaçante qu’il conviendrait.
Chef polyvalent, Fabio Luisi dirige cette œuvre hybride avec probité et mesure, mais aussi avec un manque de flamme dans les passages où un peu plus d’emportement aurait été bienvenu. La Scintilla apporte néanmoins la caution « historiquement informée » d’un ensemble d’instrumentistes habitués à ce répertoire.