Pour célébrer son soixantième anniversaire, conjointement à ses quarante ans de carrière, Roberto Alagna publie un nouvel album constitué en majorité de morceaux qu’il enregistre pour la première fois. Un récital au minutage généreux, 85’ de musique, et au programme ambitieux puisqu’il réunit des compositeurs et des répertoires extrêmement variés allant du baroque au début du vingtième siècle et se décline en pas moins de huit langues si l’on compte le dialecte napolitain de l’air de Pergolèse. Dans ce programme, l’opéra français et l’opéra italien qui ont constitué le cœur du répertoire de notre ténor, tiennent une place de choix, mais l’on y trouve également des compositeurs allemands, russes et même polonais. Le crossover que Roberto Alagna a régulièrement pratiqué est illustré par des chansons en espagnol, en anglais, en l’occurrence le fameux « Be my love » en hommage à Mario Lanza, et bien sûr en français avec « L’Andalouse », une composition de ses frères et en italien avec « Sognare », chanson que le ténor avait écrite à l’âge de vingt ans, dont la musique évoque les « tubes » transalpins des années 70. Quelques cinéphiles avisés se souviendront que « La Spagnola », ritournelle de la Belle Époque, a été interprétée par Gina Lollobrigida dans le film La Belle des belles où elle incarnait la cantatrice Lina Cavalieri.
Ce qui frappe d’emblée l’auditeur à l’écoute de ce disque est l’insolence vocale du ténor au service d’une interprétation soignée, respectueuse du style musical de chaque compositeur. Le medium est riche et nourri, le grave sonore et l’aigu toujours présent comme en témoigne le contre-ré du Postillon de Lonjumeau. Seul le léger vibrato sur l’ut de la « Demeure chaste et pure » ainsi que quelques tensions dans le haut medium sur les dernières phrases de « In fernem Land », que la prise de son accentue en plaçant la voix au premier plan, trahissent le passage des ans. Mais ce ne sont que peccadilles au regard des splendeurs que comporte ce programme, le second air de Lohengrin « Mein lieber Schwan » tout en demi-teintes et chargé d’émotion, l’air de Lensky « Kuda, Kuda » absolument bouleversant tout comme celui d’Adorno dans Simon Boccanegra qui ouvre le récital ou le fameux « Ach ! so fromm » extrait de Martha, glorieux, dans son idiome original. Pour le répertoire français, citons les airs de Raoul (Les Huguenots) et de Wilhelm Meister (Mignon) chantés avec une grande sensibilité et une diction impeccable.
L’amateur de raretés trouvera son bonheur avec le magnifique extrait de Halka, un opéra du compositeur polonais Stanislaw Moniuszko et celui de Sadko « Les diamants chez nous sont innombrables » susurré en français avec une voix suave et caressante ainsi que la sérénade française de Leoncavallo « Au clair de la lune » tout empreinte de nostalgie. L’air « Nymphes attentives » tiré du Polyeucte de Gounod, moins souvent enregistré que « Source délicieuse » et les couplets d’Ascanio dans Lo frate ‘nnamorato de Pergolèse, l’une des rares incursions de Roberto Alagna dans la musique baroque, complètent judicieusement ce bouquet. De nombreuses pépites donc, dans un programme pour le moins électrisant.
Sous la baguette inspirée de Giorgio Croci, le Morphing Chamber Orchestra s’adapte avec aisance aux divers styles musicaux présents sur ce CD. Notons que la prise de son le place légèrement en retrait par rapport à la voix comme cela se faisait dans les enregistrements des années 50.