Rolando Villazón, on l’aime sans compter car lui-même ne compte pas. Là où d’autres ergotent, mesurent, barguignent, le ténor franco-mexicain donne tout d’un bloc, sans hésiter, avec une candeur désarmante. Cet excès de générosité n’a pas été sans conséquence sur sa trajectoire, le contraignant à reconsidérer son répertoire suite à une opération des cordes vocales dont il est permis de penser que son tempérament dispendieux n’était vraisemblablement pas étranger. Aux héros casqués de Verdi ont succédé ceux de Mozart, moins exigeants en termes de vaillance, toujours abordés cependant à bras-le-corps avec cette chaleur latine irrésistible (cf. le récent enregistrement de L’Enlèvement au sérail). Et aux airs d’opéra suppléent à présent des romances de salon, dirigées d’une baguette expansive par Marco Armiliato à la tête de l’Orchestre du Maggio musicale Fiorentino. L’usage d’une formation orchestrale rendrait-il plus légitime qu’un simple piano le nom de « trésors du bel canto » donné à l’album ?
S’avancent alors les grands compositeurs romantiques italiens non costumés de pied en cap mais envisagés dans un contexte plus intime qu’une scène d’opéra. On connaît les Pêchés de vieillesse commis par Rossini à la fin de sa vie. On sait moins que ses glorieux successeurs s’essayèrent aussi à la musique de chambre : Bellini en ordre dispersé tout au long de sa brève carrière, la plupart de ses mélodies ayant été regroupées par Ricordi – son éditeur – après sa mort ; Donizetti de manière si prolixe qu’il existe encore aujourd’hui beaucoup d’interrogations autour de ses compositions ; Verdi dans sa première période créatrice avec une approche avant tout expérimentale. Quel qu’en soit l’auteur, aucune de ces partitions ne peut prétendre au titre de chef d’œuvre mais les trésors mélodiques qu’elles dispensent sont suffisants pour rendre aimable l’heure passée en leur compagnie.
A écouter donc en petit comité autour d’une tasse de thé dans le confort tamisé d’un boudoir ? Pas vraiment. L’accompagnement orchestral fait de ces mélodies autant d’arias qui ne dépareraient pas un drame lyrique. Puis chassez le naturel, il revient au galop. Emporté par son enthousiasme natif, Rolando Villazon a tôt fait de charger de pathos des partitions qui n’en demandaient pas forcément tant : l’impatient « Torna, vezzosa Fillide » pris à la hussarde ; « La mère et l’Enfant » chanté dans un français grelottant de fièvre ; « Il mistero » sangloté comme une aria du Trouvère ; la Tirana pour deux voix entonnée avec Cecilia Bartoli coude à coude sur le comptoir ; la célèbre Danza de Rossini fouaillée, broyée, hoquetée… Pourtant, le ténor n’est jamais si émouvant que lorsqu’il lève le pied, ose la caresse (« Ma rendi pur contento »), tient à mi-voix vingt secondes chrono l’ut final de « Non t’accostare all’urna » et laisse agir le charme inaltéré d’une voix prenante.