Au Staatsoper de Vienne, elle était encore Barberine en 2012 avant de devenir Suzanne en 2016 ; à Salzbourg, elle fut Zerline en 2016 ; Paris l’a applaudie en Servilia en 2017. La soprano moldave Valentina Naforniţa répète à qui veut l’entendre qu’elle adore chanter Mozart. Oui, sans doute, mais on est tenté de retourner la question : Mozart l’adore-t-il ? Sa musique lui convient-elle autant qu’on aimerait le croire ?
A l’écoute des premières plages du disque Romance, c’est une réponse négative qui vient d’abord à l’esprit. Qu’ont de commun avec Suzanne et Zerline cette voix sombre et ce ton majestueux ? Où sont le naturel, le charme que l’on associe à ces personnages « populaires » ? Tout change heureusement, avec Ilia, où le drapé héroïque, la noblesse des accents transforment la jeune captive d’Idoménée en véritable figure tragique, très loin des oiselles auxquelles le rôle est parfois confié, à tort. « Padre, germani » prend les proportions raciniennes qu’il devrait toujours avoir, et « Zeffiretti lusinghieri » est bien plus qu’une jolie bulle de savon flottant au gré du vent. « Ruhe zanft » est tout aussi réussi, et la chanteuse montre qu’à côté d’un medium solide, elle est aussi parfaitement capable d’aigus aériens. Cela montre en tout cas qu’une voix évolue parfois très vite, et qu’en quelques années un répertoire peut évoluer considérablement, ou qu’une artiste peut se révéler très convaincante en scène grâce à une certaine adéquation physique, et moins au disque lorsque seule l’oreille est juge.
Après cette ouverture mozartienne, changement radical d’univers, lorsque l’on passe à ce qu’on appellera par commodité le répertoire slave. Plus aucun problème d’adéquation du profil vocal lorsqu’il s’agit de la Romance à la lune de Roussalka : le côté capiteux du timbre est on ne peut plus bienvenu pour donner à la malheureuse ondine toute l’épaisseur voulue. L’autre « Romance » qui donne son titre au disque, celle de Tchaïkovski possède une ampleur remarquable. C’est alors qu’on se rappelle que Valentina Naforniţa fut la protagoniste de la reprise de Iolanta à Garnier, succédant à Sonya Yoncheva avec qui le spectacle de Dmitri Tcherniakov avait été créé. L’air de l’héroïne aveugle, curieusement suivi du bref prélude de l’opéra de Tchaïkovski, termine ce deuxième volet du triptyque.
Car le disque propose en dernière partie trois compositions qui ont de grandes chances de constituer une découverte pour la plupart des mélomanes occidentaux : trois mélodies d’Eugen Doga, compositeur moldave né en 1937, qui ont apparemment bercé l’enfance de Valentina Naforniţa. Cette musique a-t-elle une valeur autre que sentimentale, au-delà des cercles moldaves ? Chacun répondra en son âme et conscience, mais on pourra trouver qu’elle ressortit peut-être plus à la chanson de variété qu’à la mélodie telle qu’on l’entend en musique savante (ce que les anglophones appellent art song). Au moins les orchestrations ne sont-elles pas trop guimauves – on a connu tellement plus sirupeux dans ce registre – mais malgré toute la bonne volonté de l’orchestre de la radio de Munich et toute la conviction qu’y met Keri-Lynn Wilson, il n’est pas sûr que monsieur Doga trouve en Occident autant de fans qu’il en a, nous dit-on, en Russie, en Roumanie et en Moldavie.